A l’instar du Gabon, le football en République Démocratique du Congo (RDC) est touché par un système pédocriminel qui s’est propagé depuis une vingtaine d’années. Certains membres de la Fédération congolaise de football (FECOFA) sont impliqués, tandis que l’état-major actuel de la fédération et plusieurs clubs sont accusés d’avoir couvert les actes.
« Mon petit, si tu veux signer le contrat, il faut faire des sacrifices. Tu dois nous donner tes fesses. C’est très simple, tu sais ce qu’il faut faire. » Des audios WhatsApp comme celui-ci émanant d’officiels congolais (coachs, dirigeants), Sport News Africa en a réuni une dizaine sur une année d’enquête.
Dans la lignée du système pédocriminel ayant gangrené le football gabonais depuis les années 90, le beautiful game de la République Démocratique du Congo est lui aussi concerné par des abus en masse sur des jeunes garçons et des adultes. « C’est un système, ce n’est pas un cas isolé de pédophilie », confirme Youssouf Mulumbu, ancien capitaine de la sélection. « Des coéquipiers et des jeunes sont venus me parler de ce qu’ils ont connu, des propositions qu’ils recevaient. Je l’ai vu et entendu à de nombreuses reprises. C’est une réalité. »
La FECOFA alertée en décembre 2020
En décembre 2020, lors du tournoi qualificatif à la CAN U20 de la zone UNIFFAC (Union des Fédérations de football d’Afrique centrale) disputé en Guinée équatoriale, le scandale éclate au sein de la sélection. « J’ai interpellé M. Theo Binamungu devant presque tous les membres du staff en lui demandant de faire quelque chose car c’était trop », s’emporte l’ancien international Papy Kimoto. « Les enfants et certains joueurs souffraient de ces abus. Je lui en ai parlé, mais qu’est-ce qui a été fait ? Rien, ça continue. »
Confirmée par plusieurs témoins, la joute verbale entre Papy Kimoto et le vice-président de la FECOFA a été l’une des premières alertes publiques d’un ancien joueur reconverti dans le staff des équipes de jeunes des Léopards. « J’ai prévenu aussi le président actuel, M. Tshimanga, et d’autres dirigeants », poursuit Kimoto. « Je fais partie de l’amicale des entraîneurs de la RDC. Lors d’une réunion, on a soulevé ce problème. Avec d’autres, nous voulions une politique claire : chaque entraîneur qui se faisait attraper devait être sanctionné. Or, le directeur technique national actuel et Florent Ibenge ont défendu ça. Ils ont parlé de vie privée et qu’ils ne voulaient pas rentrer en conflit là-dessus. Nous étions dégoûtés. Personne ne veut faire quelque chose pour les enfants. »
Le cas Bertin Maku
Contacté et relancé par Sport News Africa, le président de la FECOFA, Donatien Tshimanga, n’a pas répondu, pas plus que le vice-président Théo Binamungu. Quant au directeur technique national, Guy Lusadisu, il nie avoir été présent à cette réunion, comme Florent Ibenge, l’ancien sélectionneur national qui a ajouté « avoir entendu des histoires de coachs ayant des relations avec les jeunes, mais ans avoir de preuves ». Cependant, trois témoins confirment la présence de chacun des individus mentionnés, qui ont été prévenus en amont, parfois par différentes personnes, notamment vis-à-vis de Bertin Maku, ex-sélectionneur de l’équipe locale qui a pris par au CHAN, rappelé par la FECOFA en 2022 comme adjoint. « C’est aberrant », souffle-t-on à l’intérieur du groupe CHAN. « Tout le monde connaît ses méthodes. Ils ont été avertis de ça, et ils le ramènent ! »
Ancien entraîneur du RCK (Racing Club de Kinshasa) ou de Lupopo pour lequel il a aussi été adjoint, Bertin Maku est accusé par plusieurs joueurs de chantage sexuel ; ce que l’intéressé nie. « Il fallait coucher pour jouer », souffle l’un d’entre eux, adulte au moment des faits. Prévenue de ses actes et et aussi de ses affaires de corruption, il réclamait par des messages Facebook une partie des primes des joueurs pour les faire jouer, la direction de Lupopo n’a pas bronché.
« Je veux voir si ton sexe est du diamant ou pas »
Entraîneur à JM, un club de la commune de Lemba, « Moyindo » n’a pas répondu aux sollicitations sur ses agissements. Une de ses victimes expliquait comment ce dernier « lui tripotait le sexe » et « le pénétrait » depuis ses 13 ans. Des accusations entendues par Timothée Menayame, le président de l’Entente Urbaine de Lupopo qui engrange six à sept communes de Kinshasa, dont celle de Lemba. « Il est cité dans la pratique, mais on cherche des preuves », affirme ce dernier qui avait pourtant vu les captures d’écran des messages Facebook à caractère sexuel entre « Moyindo » et un mineur. « Vous savez, ce n’est pas simplement dans ma juridiction, mais de partout. C’est pourquoi avec un avocat, Maître Fiston Mwenge, nous voyons comment pallier à la situation que les victimes n’arrivent pas à dénoncer. Nous cherchons à mettre la main sur les auteurs des crimes. »
Selon les témoignages d’autres victimes ou de joueurs ayant reçu des propositions sexuelles en échange de temps de jeu, un nom bien connu du championnat congolais ressort de chaque bouche : Guy Roger Limolo, technicien passé par le FC Renaissance, US Filas, Dauphins Noirs ou l’AC Rangers. « Il a tout fait pour coucher avec moi, c’était du jamais-vu », explique l’un d’entre eux. Pris en plein acte il y a quelques années dans les toilettes du stade Tata Raphaël, Guy Roger Limolo a pu continuer sa carrière sans souci comme Tifo Miezi, l’ancien coach de l’Étoile du Kivu qui a signé en deuxième division, au FC Kasombo. « C’est un réseau, il ne faut pas avoir peur des mots », remarque Youssouf Mulumbu.
Dans des audios obtenus par Sport News Africa, un certain « Paoli » explique à un attaquant « que ça se passe comme ça en Europe » et « qu’il peut être Messi ou Ronaldo, il doit faire des sacrifices comme eux. » Un endoctrinement auquel s’ajoute une pauvreté exploitée par les bourreaux. « Ils ciblent les joueurs les plus défavorisés », abonde Hérita Ilunga. « Ce sont des proies encore plus faciles. Le football est parfois le seul moyen de faire vivre la famille, donc… »
Depuis deux ans et demi, le football mondial a vu se décupler les révélations d’abus sexuel, notamment sur mineurs, dans les fédérations internationales. Afghanistan, Haïti, Gabon, Sierra Leone, Zambie, Colombie, États-Unis, Canada, France, Islande, Barbade, Mongolie : les exemples sont innombrables et inquiètent de plus en plus le syndicat mondial des joueurs, la FIFPRO. « Sur la base de nos connaissances approfondies des précédents cas d’abus sexuels dans le football et étant donné qu’il semble que des employés de la fédération nationale peuvent être impliquées, une enquête sur ces plaintes ne peut être laissée à la fédération », explique-t-elle dans un communiqué adressé à Sport News Africa. « Nous appelons donc la FIFA à ouvrir une enquête indépendante le plus vite possible, tandis que nous travaillons avec le syndicat national des joueurs congolais pour soutenir les joueurs concernés. »
NB : toute personne victime ou témoin d’abus sexuels dans le sport africain peut contacter l’auteur de l’enquête sur ce mail : romainmolina@protonmail.com