L’Est de la République Démocratique du Congo reste, encore en 2025, le théâtre d’un drame sécuritaire aux multiples facettes. Une mosaïque d’initiatives diplomatiques et de médiations régionales et internationales tente de juguler une crise devenue systémique. Mais derrière les apparences d’un consensus en faveur de la paix, les obstacles sont nombreux, complexes et imbriqués à plusieurs niveaux : local, régional et national.
Alors que l’élan né des discussions de Doha semblait prometteur, la dynamique s’est essoufflée, laissant place à un silence pesant. Le dialogue entre la délégation de Kinshasa et celle de l’AFC/M23 est à l’arrêt, plombé par des divergences profondes sur la légitimité des interlocuteurs, les garanties de sécurité et les conditions du cessez-le-feu.
À Washington, l’administration américaine, via son conseiller spécial pour la région des Grands Lacs, continue d’affiner un projet d’accord qui vise à relancer les négociations. Patrick Muyaya, ministre congolais de la Communication et porte-parole du gouvernement, a salué les efforts diplomatiques américains lors d’un récent point de presse :
« L’accord en gestation à Washington représente une avancée diplomatique majeure. Il ne s’agit pas simplement d’un texte, mais d’un cadre susceptible de relancer un dialogue crédible et de peser sur les acteurs extérieurs à cette crise. »
Dans cette mêlée géopolitique, l’Union africaine tente de recoller les morceaux. Faure Gnassingbé, désigné médiateur par l’UA, a récemment réuni les facilitateurs des processus régionaux – SADC et EAC – pour harmoniser les approches. Cette convergence est cruciale, car jusqu’ici, les initiatives africaines ont souffert d’un cloisonnement qui profite davantage aux belligérants qu’aux victimes.
Mais cette volonté de fédération diplomatique reste fragile, tant les intérêts géopolitiques divergent entre États africains : certains soupçonnés d’avoir une main dans la déstabilisation de l’Est, d’autres incapables de peser diplomatiquement.
L’ancien président Joseph Kabila a refait surface dans le Nord-Kivu, entamant des consultations locales sur la paix. Si certains y voient une tentative patriotique de raviver le dialogue, Kinshasa y perçoit une manœuvre politique. Le sénateur à vie, récemment délesté de ses immunités parlementaires, est désormais sous le feu des accusations implicites de « complicité » avec l’agresseur – comprendre le Rwanda ou ses supplétifs.
Le gouvernement a minimisé son initiative, la jugeant sans « assise crédible », mais sur le terrain, des notables locaux et certains membres de la société civile ont vu dans ce geste un symbole fort. Une alternative non officielle qui pourrait fissurer davantage l’unité nationale autour de la résolution du conflit.
L’une des faiblesses majeures des efforts de paix réside dans l’absence de consensus sur le plan intérieur. Les consultations présidentielles ont été boudées par une large frange de l’opposition alors que Martin Fayulu a tendu la main au Chef de l’État pour une rencontre pour selon lui « Sauver le Pays ». L’initiative conjointe de la CENCO (Conférence Épiscopale Nationale du Congo) et de l’ECC (Église du Christ au Congo) reste suspendue, faute de soutien politique clair du gouvernement.
Cette fragmentation rend difficile l’émergence d’un front uni face à l’insécurité. Tant que la classe politique congolaise restera divisée, les appels au dialogue national ressembleront davantage à des vœux pieux qu’à une volonté opérationnelle.
Plusieurs analystes s’accordent à décrire le conflit de l’Est comme un puzzle à trois niveaux :
Strate régionale : le différend entre Kinshasa et Kigali, le jeu trouble de l’Ouganda et la volonté de certains États voisins d’exercer une influence économique et militaire sur la région.
Strate locale : la prolifération de groupes armés (M23, FDLR, Wazalendo, Maï-Maï…) qui exploitent les failles de l’État et les tensions communautaires pour asseoir leur contrôle.
Strate nationale : une gouvernance fragilisée par la corruption, l’inefficacité de l’armée, et une justice souvent instrumentalisée. Tant que cette strate ne bouge pas, les deux autres resteront instables.
Dans cette cacophonie diplomatique, une nouvelle délégation de parlementaires de la francophonie a débarqué à Kinshasa en début de semaine. Objectif : miser sur le dialogue interinstitutionnel pour promouvoir la paix. Reçus par le Chef de l’État, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ces parlementaires européens ont discuté des voies politiques pour mettre fin au cycle de violences.
S’agit-il d’un autre coup d’épée dans l’eau ? Peut-être. Mais leur présence souligne une chose : la communauté internationale, bien que désabusée, n’a pas encore abandonné la cause congolaise.
Le processus de paix en RDC souffre de sa surcharge : trop d’initiatives, trop peu de coordination, et un manque criant de volonté politique concertée. Tant que la RDC n’arrivera pas à harmoniser ses actions sur les trois strates — régionale, locale et nationale —, la paix restera un mirage.
Il est urgent que les différents protagonistes congolais fassent une pause dans la lutte pour le pouvoir afin de se concentrer sur l’essentiel : restaurer la souveraineté sur l’ensemble du territoire et garantir la sécurité de millions de citoyens abandonnés à leur sort.
La paix dans l’Est de la RDC ne viendra pas d’un accord miracle à Washington, Doha ou Goma. Elle viendra de l’alignement entre volonté politique, engagement citoyen et pression internationale. Un alignement qui, pour l’instant, semble encore très lointain.
Junior Kulele