La décision du gouvernement congolais de mettre fin, en novembre 2025, au moratoire autorisant les étrangers à exercer dans le petit commerce marque un tournant historique. Derrière cette annonce du vice-premier ministre et ministre de l’Économie, Daniel Mukoko Samba, se dessine un dilemme : réaffirmer la souveraineté économique du pays ou exposer les marchés populaires à une secousse sociale et financière.
Depuis 1973, la loi réserve le petit commerce aux seuls Congolais. Le texte avait pour but de protéger les acteurs locaux d’une concurrence étrangère jugée déstabilisante. Mais, au fil des décennies, une série de moratoires, combinée à l’absence de contrôle effectif, a transformé cette disposition en une coquille vide. Aujourd’hui, les marchés de Kinshasa, Lubumbashi ou Goma témoignent d’une réalité bien différente : étals occupés par des commerçants libanais, indiens, pakistanais, chinois ou ougandais, au point d’évincer les nationaux de leur propre espace économique.
Pour corriger ces dérives, les autorités préparent une nouvelle loi définissant précisément ce qu’est le « petit commerce » : activités concernées, seuils de chiffre d’affaires, nature des produits. L’objectif est d’éviter les zones d’ombre qui, jusqu’ici, ont permis toutes les dérogations. Mais une question centrale demeure : le problème réside-t-il dans la loi ou dans son application ? Car en RDC, nombreux sont les textes restés lettre morte, faute de contrôle, de sanctions et de volonté politique.
Pourquoi les étrangers dominent-ils le secteur ? Plusieurs facteurs expliquent cette domination. Les commerçants expatriés disposent de capitaux solides, de réseaux communautaires puissants et de chaînes d’approvisionnement internationales bien huilées. À l’inverse, les Congolais sont pénalisés par un accès limité au crédit, une formation souvent insuffisante et un isolement structurel. La corruption et les tolérances tacites des autorités locales ont accentué ce déséquilibre, transformant un secteur protégé par la loi en un espace accaparé de fait par les étrangers.
La fin du moratoire pourrait avoir des effets immédiats : hausse des prix, si l’offre se contracte brutalement, perte d’emplois, pour les Congolais employés par des commerçants étrangers, désorganisation des circuits d’approvisionnement, si les réseaux étrangers se retirent sans alternatives locales viables.
Cette décision, hautement politique, risque donc de fragiliser le consommateur final, déjà éprouvé par une inflation persistante. Deux options se présentent au gouvernement : Appliquer la loi à la lettre, en réservant strictement le petit commerce aux Congolais, tout en accompagnant cette mesure de politiques de soutien : microcrédits, formations ciblées, coopératives et sécurisation des marchés; Maintenir une tolérance tacite, qui garantirait une stabilité de l’approvisionnement mais au prix d’une injustice économique et d’une perte de crédibilité pour l’État.
Au-delà du droit et de l’économie, cette réforme touche à l’identité nationale. Le petit commerce reste, pour beaucoup de Congolais modestes, un ultime bastion de survie économique. L’échéance de novembre 2025 s’annonce donc comme un véritable test : celui de la capacité de l’État congolais à transformer une promesse de souveraineté en réalité tangible, sans plonger ses citoyens dans un choc économique et social.
Constatin Ntambwe