En marge de la 80ᵉ Assemblée générale des Nations-Unies, le président Félix-Antoine Tshisekedi a porté la voix de la République Démocratique du Congo dans un plaidoyer sans précédent. Au Jay Conference Center de Manhattan, devant diplomates, chercheurs, ONG et représentants de la diaspora, il a appelé la communauté internationale à reconnaître le « Génocost », terme désignant les massacres, déplacements et violences systématiques qui ensanglantent la RDC depuis plus de trois décennies, alimentés par la convoitise des ressources stratégiques du pays.
Ce mot nouveau, contraction de « génocide » et « cost » (coût), symbolise une tragédie aux contours inédits : un génocide motivé par l’économie, où les victimes humaines deviennent la variable d’ajustement d’une guerre sans fin pour le contrôle des minerais essentiels au monde moderne.
À New York, Tshisekedi n’a pas choisi le registre de l’émotion. Il a bâti son discours sur trois piliers juridiques :
Une cartographie des faits : massacres à grande échelle, déplacements forcés, usage systématique du viol comme arme de guerre, destruction de villages et d’écosystèmes.
Une qualification juridique : selon la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, ces actes portent les signes de l’« intention génocidaire ».
Un appel à la justice transitionnelle : vérité, poursuites, réparations et réconciliation, au moyen d’un mécanisme international robuste capable de préserver les preuves et de coopérer avec les juridictions compétentes.
Des voix indépendantes ont soutenu cette approche, certains experts allant jusqu’à recommander la création d’un Tribunal pénal international pour la RDC, à l’image de ceux institués pour le Rwanda ou l’ex-Yougoslavie. Pour comprendre ce plaidoyer, il faut revenir sur les années 1990. La chute du Zaïre de Mobutu, les deux guerres du Congo et l’effondrement des structures étatiques ont ouvert la voie à ce que certains chercheurs appellent déjà la « première guerre mondiale africaine », impliquant plus de sept pays.
Les rapports onusiens de 2001 et 2002 avaient déjà mis en évidence la collusion entre armées étrangères, groupes armés locaux et multinationales dans l’exploitation illégale des minerais. Cette économie de guerre a nourri une logique de dépeuplement et de contrôle territorial, notamment dans les provinces de l’Est. Aujourd’hui, Kinshasa considère ces pratiques comme un projet structuré, et non une simple barbarie. Le « Génocost » devient ainsi une catégorie politique et mémorielle nouvelle, qui interpelle le droit international lui-même.
Ce plaidoyer intervient dans un climat de tensions accrues entre Kinshasa et Kigali. La RDC accuse le Rwanda de soutenir le mouvement rebelle M23, actif dans le Nord-Kivu. Des accusations confirmées à plusieurs reprises par les experts de l’ONU, malgré les dénégations officielles de Kigali.
Le message de Tshisekedi va donc bien au-delà du seul terrain humanitaire : il vise à isoler diplomatiquement le Rwanda et à replacer la tragédie congolaise au centre de l’agenda international, dans un contexte où les minerais congolais cobalt, coltan, cuivre, lithium sont devenus indispensables à la transition énergétique mondiale.
La reconnaissance du « Génocost » dépasse les considérations diplomatiques. Pour les millions de déplacés, de veuves, d’orphelins et de survivants de violences sexuelles, elle représente une quête de vérité et de dignité.
Les associations locales réclament : la reconstruction des villages détruits, des indemnisations pour les familles des victimes, une prise en charge médicale et psychologique des survivants, et la mise en place de programmes éducatifs pour transmettre la mémoire des crimes.
La stratégie de Kinshasa est claire : faire du « Génocost » une référence incontournable, à l’instar des génocides arménien, rwandais ou bosniaque. Tshisekedi entend inscrire cette lutte dans la durée, en mobilisant diplomates, chercheurs, mais aussi l’opinion publique internationale.
Certains universitaires voient déjà dans ce concept une révolution du droit international : l’introduction d’une dimension économique dans la définition du génocide. Ce débat pourrait ouvrir une brèche dans la jurisprudence, obligeant la communauté internationale à regarder en face les crimes liés à l’exploitation des ressources naturelles.
Le plaidoyer de Tshisekedi s’inscrit dans une offensive juridique plus large. En février 2025, la RDC a saisi la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) contre le Rwanda, l’accusant d’agressions, de pillages et de massacres sur son sol.
Parallèlement, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé la relance de ses enquêtes sur les crimes commis dans l’Est depuis janvier 2022, notamment lors des affrontements meurtriers à Goma en janvier 2025, qui auraient fait au moins 3 000 morts selon l’ONU. Ces démarches visent à accumuler les preuves et renforcer la qualification juridique des crimes, tout en légitimant sur la scène internationale le terme « Génocost ».
En introduisant le terme « Génocost » à la tribune onusienne, Félix Tshisekedi a marqué une étape décisive : celle d’imposer un nouveau récit de la tragédie congolaise, trop longtemps reléguée aux marges de l’agenda international. La route vers une reconnaissance officielle sera longue, semée de résistances politiques et économiques. Mais un premier point est acquis : le monde ne pourra plus ignorer que derrière les smartphones, les batteries électriques et les technologies vertes, il y a aussi le sang versé en RDC.
Le « Génocost » devient dès lors un enjeu universel : celui d’arrêter l’industrie de la mort pour redonner aux Congolais le droit fondamental de vivre en paix sur leurs terres.
Constantin Ntambwe