À l’occasion de la 80ᵉ session de l’Assemblée générale des Nations-Unies, le président congolais Félix-Antoine Tshisekedi s’est adressé à la communauté internationale au moment même où la situation sécuritaire dans l’est de la RDC reste grave. Son intervention visait non seulement à rendre compte du bilan de la paix négociée, mais aussi à appeler la vigilance et la solidarité internationale.
Son message s’articule autour de trois axes principaux : La dénonciation des manœuvres et du soutien clandestin; La sauvegarde de la souveraineté congolaise sur les ressources minières; L’appel à des engagements concrets et à la responsabilité collective
Extraits marquants et leur portée relevés, accompagnés de leur signification politique :
« (Rwanda) a prétendu retirer ses troupes, mais en réalité, il augmente son soutien au M23 », Félix Tshisekedi soulève ici l’accusation centrale du gouvernement congolais : que Kigali feindrait un retrait ou une désescalade, tout en maintenant des appuis discrets (logistiques, sécuritaires) au mouvement rebelle M23. Cela revient à dénoncer une violation du principe même de l’accord de paix.
« Nous ne vendrons pas nos ressources minières aux enchères ». Cette phrase marque une ligne rouge : le président refuse que la RDC brade ses richesses naturelles dans le cadre des coopérations ou partenariats internationaux.
« Nous allons travailler dans le développement du secteur minier, dans le développement de la chaîne de valeur, dans le développement des infrastructures, avec un accent particulier sur l’énergie » Ici, Tshisekedi expose la vision économique qu’il souhaite lier au processus de paix : l’exploitation des ressources doit être accompagnée de transformation locale, d’infrastructures, et d’un apport énergétique pour soutenir l’industrialisation.
« Nous avons signé un partenariat stratégique avec la Chine. Aujourd’hui, nous négocions un partenariat équivalent avec les États-Unis. Et nous espérons le finaliser » Il y a une ouverture vers les États-Unis, mais dans le cadre d’égal à égal, et non dans une relation de subordination. Le président cherche à diversifier les partenariats pour éviter de rester dépendant d’un seul acteur.
« En fait, nous attendons que la Croix-Rouge nous donne son feu vert pour procéder à l’échange de prisonniers » Cette phrase révèle que les négociations autour de l’échange de prisonniers (un sujet sensible dans les pourparlers avec le M23) sont en cours, et que la RDC attend une validation internationale (par la Croix-Rouge) avant de procéder.
Dans d’autres médias francophones, on relève aussi des passages plus chargés en rhétorique : « Le Rwanda organise des colonies de repeuplement pendant leur occupation du sol congolais » Cet extrait accuse directement Kigali d’un projet de peuplement ou de contrôle démographique dans des zones contestées en RDC.
« Genocost (génocide pour des intérêts économiques) » Par ce terme, Tshisekedi évoque ce qu’il perçoit comme une exploitation criminelle des conflits pour le contrôle des minerais, au détriment de la vie des Congolais.
Analyse : ce que révèle ce discours
Raccourcir l’écart entre diplomatie et réalité
Tshisekedi affirme avec force que l’accord de Washington (et d’autres engagements diplomatiques) ne correspondent pas à ce qu’il se passe sur le terrain. En dénonçant des “prétendus retraits” ou des “colonies de repeuplement”, il veut s’assurer que la communauté internationale ne se contente pas des belles formules, mais exige des actes vérifiables. Le discours est une tentative de réduire l’écart entre la façade diplomatique et la réalité militaire.
Souveraineté et posture de redressement
Le refus de “vendre aux enchères” les ressources minières témoigne d’une posture de dignité et de défi face à la pression internationale. Le président congolais cherche à imposer que toute coopération autour des minerais soit conçue non pas comme une rente immédiate, mais comme un levier de développement local, d’industrialisation, de création d’emplois et d’infrastructures.
Multilatéralisme et diversification des alliances
En rappelant le partenariat stratégique avec la Chine et en annonçant des négociations avec les États-Unis, Tshisekedi rappelle que la RDC n’est pas un objet de concurrence, mais un acteur qui peut faire jouer les options. Cette diversification de partenariats vise à limiter la dépendance unilatérale et à renforcer la marge de manœuvre de Kinshasa.
Demande de suivi international crédible
L’évocation de la Croix-Rouge comme acteur du processus d’échange de prisonniers, l’appel à des mécanismes de contrôle, et l’insistance sur la transparence, montrent que Tshisekedi cherche à inscrire le processus dans une architecture internationale de vérification. C’est une manière de renforcer la pression sur les parties concernées (Rwanda, M23) pour qu’elles respectent les engagements.
Un discours à l’audience internationale mais à l’effet domestique
À l’ONU, le discours vise à mobiliser les États membres, les médias, les institutions onusiennes et les ONG pour qu’ils accompagnent ou encadrent le processus congolo-rwandais. Mais il sert aussi à renforcer l’autorité du président sur le plan intérieur, en affirmant qu’il ne cèdera pas à des pressions externes pour sacrifier la souveraineté congolaise.
Limites et défis que le discours ne balaie pas
La vérification sur le terrain : dénoncer des manœuvres ne suffit pas ; il faut des mécanismes indépendants et crédibles (observateurs, audits, sanctions) pour s’assurer de la bonne foi de toutes les parties.
L’adhésion des acteurs non signataires : le M23 ou d’autres milices locales ne sont pas nécessairement liés par les discours présidentiels ou les accords bilatéraux.
La crise de confiance mutuelle : la rhétorique musclée renforce le positionnement congolais, mais peut aussi durcir les résistances adverses si elles se sentent accusées ou humiliées.
Les pressions économiques et géopolitiques : le président revendique un partenariat “à l’égal”, mais dans les faits, les rapports de force (technologique, d’investissement, diplomatique) entre la RDC et les puissances étrangères restent asymétriques.
La mise en œuvre sécuritaire locale : même avec des engagements diplomatiques, l’armée congolaise (FARDC) doit gagner sur le terrain, ce qui suppose des réformes, de l’équipement, des chaînes logistiques, et la confiance des populations locales.
Le discours de Félix Tshisekedi à l’ONU est une prise de parole stratégique : il combine dénonciation, affirmation de souveraineté, posture de redressement national et appel à l’action internationale. En reprenant des extraits forts sur le soutien fantôme rwandais au M23, la non-cession des ressources à vil prix, et l’appel à une coopération respectueuse, il tente de donner corps à ses engagements et de délégitimer les provocations.
Mais ce discours n’est pas une fin en soi : il a besoin d’être suivi par des actes concrets et respectés, par des institutions de contrôle, et par la mise en cohérence entre les engagements diplomatiques et les réalités militaires sur le terrain.
Junior Kulele