Dans une étude percutante publiée sur Village-Justice, Mukwayakala Tatiku, doctorant en droit, secoue le statu quo en dénonçant les zones d’ombre entourant la fiscalité des Églises en République Démocratique du Congo. Intitulé « Fiscalisation des Églises en République Démocratique du Congo : étude comparative », son article met en lumière un vide juridique aux conséquences lourdes, tant pour les travailleurs ecclésiastiques que pour l’État congolais.
Tatiku dresse un constat sans appel : en RDC, les Églises fonctionnent sous le statut d’associations sans but lucratif (ASBL), ce qui les exonère d’obligations fiscales spécifiques et de toute réglementation claire en matière de droit du travail ecclésiastique. « Aucun contrat, aucune couverture sociale, aucune obligation de rémunération », déplore l’auteur. Les églises emploient pourtant une main-d’œuvre nombreuse : pasteurs, enseignants, techniciens, musiciens, agents d’entretien… souvent sans la moindre protection juridique.
Tatiku évoque, à titre d’illustration, une grande église située dans la commune de Limete, qui regroupe plus de cinquante mille fidèles. Chaque mois, les contributions versées par les membres se chiffrent en millions de dollars, finançant travaux, logistique et fonctionnement. Pourtant, ces ressources ne donnent lieu à aucune déclaration fiscale, ni à aucune rémunération pour les nombreux bénévoles qui assurent le bon déroulement des activités.
Les musiciens, femmes de ménage, animateurs de culte — souvent à temps plein — servent l’institution dans l’espoir d’un salut éternel, mais sans revenu ni sécurité sociale. Ce système, dénonce Tatiku, profite à un clergé qui vit dans une opulence déconnectée de la réalité économique de ses fidèles.
À travers une étude comparative avec l’Allemagne, Mukwayakala Tatiku montre qu’un autre modèle est possible. Dans ce pays, la relation entre l’Église et l’État repose sur une coopération institutionnelle solide, où la fiscalité religieuse est régulée, les travailleurs religieux reconnus et protégés, et les contributions des fidèles déclarées et redistribuées dans la transparence.
L’auteur plaide pour l’introduction en RDC d’un cadre juridique cohérent, respectueux de la liberté religieuse mais garantissant une responsabilité sociale et fiscale des églises. Il propose des mécanismes incitatifs permettant de formaliser l’emploi ecclésiastique et d’amener les églises à contribuer au financement de l’État, comme tout autre acteur économique.
Dans un pays où les scandales religieux se multiplient, cette réflexion tombe à point nommé. « Quand tous se sacrifient au bénéfice du clergé, même l’État sombre », avertit Tatiku, soulignant l’urgence de réformes profondes pour mettre fin aux dérives.
L’étude analyse en profondeur : le vide juridique en matière de fiscalité religieuse en RDC ; les mécanismes du droit ecclésiastique allemand ; les pistes d’adaptation réalistes au contexte congolais ; et les avantages d’une telle réforme pour les fidèles, l’État et les églises elles-mêmes.
Loin d’être un appel à la confrontation entre Église et pouvoir public, l’initiative de Tatiku se veut un plaidoyer pour une cohabitation saine, où la foi ne serait plus un prétexte à l’impunité, mais un moteur de transformation sociale. Une réforme fiscale bien pensée permettrait de responsabiliser les acteurs religieux, de protéger les travailleurs invisibles de l’Église et de renforcer les ressources de l’État.
Elrick Elesse