Le souffle du vieux monstre d’acier s’est de nouveau fait entendre. Le train Kinshasa–Matadi, jadis symbole de modernité et de lien vital entre la capitale et le littoral, a repris du service. Pour les nostalgiques comme pour les curieux, c’est une bouffée d’histoire. Mais derrière la célébration de ce retour, une question brûle toutes les lèvres : sur quoi roule vraiment ce train ?

Car le décor qu’offre aujourd’hui la ligne ferroviaire n’a rien d’un champ de bataille, encore moins d’un dispositif militaire contre les érosions. Il s’agit d’un mécanisme de fortune, un bricolage de sécurité pour soutenir des infrastructures vieillissantes. Entre talus fragiles, traverses fatiguées et viaducs usés par le temps, le rail congolais ressemble davantage à un survivant qu’à un champion de relance.
Inaugurée en 1898 par la Compagnie du chemin de fer du Congo (CFL), la ligne Kinshasa–Matadi fut un exploit technique : 366 km de fer posés à travers collines, forêts et vallées escarpées. Plus d’un siècle plus tard, l’infrastructure, mal entretenue et frappée par les aléas du climat, peine à soutenir la demande d’un transport sûr et régulier.
Des experts ferroviaires congolais soulignent que les travaux de réhabilitation réalisés ces dernières années, bien que visibles, restent partiels : Ponts métalliques datant de l’époque coloniale nécessitant une mise aux normes; Rails affaiblis par la corrosion et le manque de renouvellement; Talus renforcés à la hâte, transformés en barrières contre les effondrements. La relance du service interurbain a été accompagnée par l’acquisition de nouvelles locomotives et wagons voyageurs. Une initiative saluée par certains comme un geste fort pour moderniser l’offre de transport face à la pression démographique de Kinshasa.
Mais d’autres voix, plus critiques, rappellent une évidence : à quoi servent des trains flambant neufs si les rails eux-mêmes sont en agonie ? « La priorité devrait être la réhabilitation intégrale de la voie, pas l’achat de matériel roulant », tranche un ancien cadre de la SNCC (Société nationale des chemins de fer du Congo). Le paradoxe saute aux yeux : la RDC, riche en ressources, mise sur l’image d’un train moderne, mais le voyageur qui embarque vers Matadi sait qu’il roule sur une infrastructure fragile, où chaque secousse rappelle la vétusté du chemin.
Le Kinshasa–Matadi n’est pas un simple train touristique. C’est l’artère économique qui relie la capitale au port maritime de Matadi, principal point d’entrée et de sortie des marchandises du pays. Une panne prolongée ou un accident grave aurait des conséquences désastreuses sur l’approvisionnement de Kinshasa, mégapole de près de 17 millions d’habitants.

Les autorités affirment avoir inscrit la réhabilitation complète de la ligne dans le programme national de modernisation des infrastructures. Mais sur le terrain, les financements tardent, les appels d’offres piétinent et la vétusté continue de grignoter l’œuvre centenaire. L’arrivée d’un train rutilant en gare de Kinshasa-Matete émerveille, sans doute. Mais ce retour met en lumière une réalité plus dure : l’infrastructure ferroviaire congolaise vit sous perfusion. Et sans un plan de sauvetage clair, ce symbole de fierté nationale risque de redevenir un monument de nostalgie plutôt qu’un outil de développement.
Le retour du train Kinshasa–Matadi est une victoire symbolique. Mais le vrai défi reste devant : redonner au rail congolais non pas l’éclat d’un souvenir, mais la robustesse d’un avenir. Car sans rails solides, le rêve ferroviaire congolais ne sera qu’une illusion qui roule.
Junior Kulele