Dans le district côtier de Muanda, au bord de l’océan Atlantique, le projet du port en eaux profondes de Banana prend une ampleur spectaculaire. Sous les cieux limpides du Kongo-Central, camions, grues et barges maritimes s’activent sans relâche. Ce chantier, considéré comme l’un des plus ambitieux de l’histoire moderne de la République démocratique du Congo, symbolise bien plus qu’une simple infrastructure portuaire : il s’agit d’une mutation stratégique majeure pour l’économie nationale.

Lancé officiellement en janvier 2022, le port en eaux profondes de Banana marque un tournant dans la stratégie maritime de la RDC. Longtemps enclavé économiquement malgré son ouverture océanique, le pays dépendait jusqu’à présent fortement des ports voisins, notamment ceux de Pointe-Noire (Congo-Brazzaville) et de Durban (Afrique du Sud), pour ses importations et exportations.
Aujourd’hui, la RDC entend renverser cette dépendance historique en s’appuyant sur sa façade atlantique, longue d’environ 37 kilomètres. Le projet est mis en œuvre en partenariat public-privé avec DP World, géant portuaire basé à Dubaï, qui investit environ 1,2 milliard de dollars américains sur plusieurs phases de développement.

Selon les dernières données officielles :
Les opérations de terrassement et de dragage sont déjà bien avancées, facilitant l’accueil de navires de gros tonnage ;
Les premiers quais sont en construction et devraient accueillir les premiers cargos dès 2026 ; Des infrastructures d’accueil logistique (entrepôts, terminaux à conteneurs, installations douanières) sont en cours de finalisation ; La connexion routière Banana-Matadi-Kinshasa fait également l’objet de modernisations pour relier efficacement le port à l’intérieur du pays.
Le port de Banana devrait générer des effets d’entraînement significatifs pour l’économie congolaise :
Réduction des coûts logistiques : En disposant de sa propre plateforme maritime internationale, la RDC pourra négocier de meilleurs tarifs de fret, raccourcir ses délais d’approvisionnement et éviter les surcharges douanières imposées par les ports étrangers.
Hausse des exportations : Le secteur minier, en particulier dans le Katanga, devrait bénéficier d’un débouché maritime direct pour le cuivre, le cobalt et le zinc.
Création d’emplois massifs : À terme, des milliers d’emplois directs et indirects sont attendus dans les secteurs de la logistique, du transport, de la manutention et des services connexes.

Le port de Banana ne doit pas être analysé uniquement comme une infrastructure physique. Il s’agit d’un outil de souveraineté économique dans un contexte géopolitique marqué par la concurrence des corridors d’exportation en Afrique centrale.
En diversifiant ses accès aux marchés mondiaux, la RDC réduit sa vulnérabilité aux instabilités régionales et aux surcoûts commerciaux. Le pays espère également attirer des zones industrielles intégrées autour du port, à l’image de ce qui a été fait à Tanger Med au Maroc, en créant une véritable chaîne de valeur industrielle sur place.
Malgré cet optimisme, plusieurs défis restent à relever :
Transparence de la gouvernance : le suivi des financements et l’exécution contractuelle doivent être rigoureux pour éviter les dérapages budgétaires ou la corruption.
Sécurité et environnement : la zone côtière, fragile écologiquement, doit être protégée face aux risques de pollution maritime.
Intégration au réseau national : sans une interconnexion fiable au réseau ferroviaire et routier, le port risque de devenir un îlot isolé.
En s’attaquant à l’un des goulots d’étranglement les plus persistants de son histoire économique — l’accès autonome à la mer —, la RDC pose les fondations d’une nouvelle ère. Le port en eaux profondes de Banana incarne non seulement un espoir logistique, mais aussi une vision géoéconomique assumée : celle d’un Congo plus indépendant, plus connecté, et résolument tourné vers l’avenir.
Junior Kulele