Le 27 juin 2025 marque une date symbolique dans l’histoire récente des Grands Lacs : la République Démocratique du Congo et le Rwanda, après des décennies de guerre froide et de conflits par procuration, ont signé à Washington un accord de paix historique, sous la médiation américaine conduite par le secrétaire d’État Marco Rubio, et avec le soutien diplomatique du Qatar.

Mais derrière la poignée de main – tant attendue – entre la ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba, et son homologue rwandais, une question fondamentale hante encore l’opinion congolaise : la paix a-t-elle été réellement conclue ou simplement mise en scène ?
L’accord s’articule autour de six engagements clés : Cessation immédiate des hostilités, retrait progressif des troupes rwandaises et des groupes armés étrangers, neutralisation des FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda), retour des déplacés dans la dignité, mise en place d’un mécanisme conjoint de coordination sécuritaire, relance des échanges bilatéraux sur les plans économique, humanitaire et sécuritaire.

Une architecture ambitieuse qui, en théorie, vise à désamorcer les tensions structurelles ayant conduit à la résurgence du M23, dont les exactions ont provoqué, selon les Nations Unies, plus de 3 000 morts entre janvier 2022 et janvier 2025.L’accord de Washington n’est pas le premier du genre. En 2013, l’accord-cadre d’Addis-Abeba réunissait déjà les mêmes espoirs. Mais son application fut torpillée par les intérêts croisés et le manque de mécanismes de contrôle contraignants. Le Rwanda, accusé à maintes reprises de soutenir le M23 et de piller les ressources congolaises, n’a jamais pleinement respecté ses engagements antérieurs.
Cette fois-ci, les États-Unis jouent le rôle de garants – et non plus de simples facilitateurs. L’administration Trump, dans un rare engagement direct en Afrique, a averti qu’un non-respect entraînerait des conséquences économiques et diplomatiques immédiates, notamment sur les aides et la coopération militaire.

Mais le diable est dans les détails : aucun calendrier précis n’a été publié pour le retrait effectif des troupes rwandaises, ni pour la neutralisation des FDLR. La conditionnalité posée pour ce retrait (désarmement des FDLR) crée une brèche de manœuvre, que Kigali pourrait exploiter pour justifier son maintien sur le sol congolais.
L’accord reste silencieux sur le sort du M23 : sera-t-il désarmé ? Intégré dans l’armée ? Jugé ? Rien n’est clair. Or, sans justice, la paix pourrait être bâtie sur du sable. Certains observateurs redoutent une intégration politique déguisée de cette rébellion dans les institutions, au nom de la réconciliation.
Quant à Joseph Kabila, discret mais toujours influent dans les régions frontalières, son silence face à cet accord interroge. Il pourrait être tenté d’utiliser ce climat d’ouverture pour repositionner ses réseaux sécuritaires. De même, Corneille Nangaa, à la tête de l’Alliance Fleuve Congo, reste perçu comme un facteur de tension si la paix ne s’élargit pas à l’opposition politique armée. Sans une inclusion nationale élargie, toute paix bilatérale reste partielle.

Lors de la réception des deux délégations, le président américain Donald Trump a lâché une phrase ambiguë : « L’Amérique a désormais des droits sur les minerais congolais. » Cette déclaration, aussi brutale que révélatrice, soulève une question capitale : la souveraineté économique de la RDC a-t-elle été partiellement sacrifiée en échange d’un parapluie sécuritaire américain ?
Officiellement, Kinshasa nie tout troc. Mais les discussions en coulisses évoquent des contrats de sécurisation de l’accès américain au cobalt, lithium et coltan, en contrepartie d’un appui militaire et diplomatique durable. Cette géopolitique des ressources inquiète autant qu’elle rassure. Si elle permet une stabilisation de l’Est, elle risque aussi d’institutionnaliser la présence étrangère dans les chaînes d’extraction, au détriment des populations locales.

Le processus sera mené en trois phases :
Phase 1 (juillet – septembre 2025) : cessation des hostilités, début du retrait des troupes, déploiement du mécanisme conjoint de supervision.
Phase 2 (octobre – décembre 2025) : retour progressif des déplacés, cantonnement des groupes armés, programmes DDR (désarmement, démobilisation, réintégration).
Phase 3 (dès janvier 2026) : relance des coopérations économiques transfrontalières, appui aux programmes de développement communautaire.
Mais à ce jour, aucune loi de ratification n’a été présentée au Parlement congolais, et les modalités concrètes (composition du mécanisme conjoint, financement, commandement) restent floues. Dans le Kivu et l’Ituri, les populations attendent des actes, pas des signatures. Elles veulent rentrer chez elles, récupérer leurs terres, voir justice rendue pour les massacres. Un accord sans procès, réparation et vérité ne guérira pas les plaies ouvertes.
Les mouvements citoyens et plusieurs ONG demandent la création d’un Tribunal spécial pour les crimes de guerre dans l’Est, en parallèle du processus de paix. C’est à cette condition que la réconciliation ne tournera pas en déni.
La RDC a peut-être marqué un point sur le plan diplomatique. Mais ce point risque de se transformer en piège si le pays : Ne contrôle pas la mise en œuvre des clauses sécuritaires ; Ne communique pas en transparence sur les engagements économiques contractés ; Ne renforce pas les capacités locales de gouvernance sécuritaire. Le peuple congolais ne doit pas payer la paix d’aujourd’hui par l’asphyxie économique de demain.
L’accord RDC-Rwanda est un pas audacieux, mais périlleux. Il ouvre une porte, sans garantir ce qu’il y a derrière. Sa réussite dépendra moins des promesses de Washington ou de Kigali, que de la capacité de Kinshasa à : Veiller à sa souveraineté, exiger des comptes, inclure tous les acteurs, y compris les voix critiques et marginalisées. Sans cela, cet accord restera un épisode de plus dans la longue série des paix impossibles.
Junior Kulele