Trente ans, trente journalistes assassinés. Et pas une seule enquête aboutie. Pas un seul commanditaire identifié. Pas un seul assassin condamné. En RDC, exercer le métier de journaliste reste un pari dangereux, presque suicidaire. C’est ce constat brutal que dresse le rapport annuel 2025 de Journaliste en Danger (JED) : la liberté de la presse n’est pas seulement fragilisée, elle vacille.
Derrière l’apparente accalmie statistique, une réalité glaçante se dessine : les homicides et disparitions de journalistes ont presque doublé en rythme annuel sous le régime Félix Tshisekedi par rapport à l’ère Joseph Kabila. Kabila (2001–2018) : 15 journalistes assassinés, 2 disparus. Tshisekedi (2019–nov. 2025) : 12 journalistes assassinés, 4 disparus en à peine six ans. Autrement dit : moins de violations globales, mais davantage de morts. Et ces morts restent sans justice. JED le martèle : « La liste reste ouverte. »
Autre signal inquiétant : 28 journalistes emprisonnés depuis 2019, contre 24 sous les 17 années de Kabila. Un chiffre qui illustre une mutation : les violences ne sont plus massives, mais elles ciblent plus durement, plus directement. Pourtant, un paradoxe domine ce rapport : la plupart des autres indicateurs baissent drastiquement sous Tshisekedi. JED note une chute spectaculaire des abus considérés comme « systémiques », caractéristiques du régime Kabila :
| Type de violation | Kabila (2001–2018) | Tshisekedi (depuis 2019) |
|---|---|---|
| Incarcérations | 172 | 59 |
| Interpellations | 519 | 77 |
| Agressions / tortures | 248 | 103 |
| Menaces / harcèlements | 274 | 127 |
| Pressions administratives / économiques / judiciaires | 286 | 20 |
| Entraves à la circulation de l’information | 338 | 100 |
Une chute massive, qui prouve un recul clair des pratiques répressives héritées de l’ancien régime. Mais la conclusion de JED est implacable : ce progrès global est éclipsé par l’absence totale de justice pour les crimes les plus graves. Depuis 1994, JED recense 2 670 violations graves contre les journalistes et les médias : assassinats, disparitions, destructions de radios, détentions arbitraires… Mais le fait le plus choquant est sans doute celui-ci : en trente ans, aucun meurtre de journaliste en RDC n’a été élucidé.
La même mécanique se répète : menaces → intimidation → agression → assassinat → silence judiciaire. dossiers oubliés, familles abandonnées, tueurs protégés, commanditaires intouchables. Selon JED, tant que cette chaîne mortelle restera intacte, “la liberté de la presse restera en sursis en RDC.”
Dans sa grille d’analyse, l’ONG rappelle que la RDC remplit l’ensemble des neuf catégories d’atteintes telles que classifiées par JED et RSF : assassinats, arrestations / privations de liberté, violences physiques, censure, pressions politiques, économiques, judiciaires, destruction des médias, interdiction d’émissions, entraves à la circulation de l’information, menaces directes ou anonymes. La catégorie la plus fréquente reste l’arrestation arbitraire, suivie de la censure, puis des violences physiques — violences qui, dans plusieurs cas, ont abouti à des assassinats.
Face à ce tableau sombre, l’ONG lance un cri d’alarme : il faut fermer cette “liste ouverte” de journalistes assassinés ou disparus.
Il faut enquêter, nommer, juger. Il faut reconnaître enfin, officiellement, ces journalistes morts pour avoir voulu informer. Sans justice, il n’y aura pas de liberté. Et sans liberté de la presse, prévient JED, la démocratie congolaise restera un château de cartes.


