À la veille de son entrée en vigueur obligatoire, la réforme de la facturation normalisée s’annonce comme l’un des chantiers fiscaux les plus ambitieux de ces dernières années en République démocratique du Congo. Présentée comme un levier stratégique pour moderniser la collecte de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et renforcer la transparence des transactions, elle se heurte cependant à des réalités techniques, économiques et culturelles qui pourraient freiner sa portée.
Adoptée par décret le 3 mars 2023, cette réforme repose sur l’utilisation obligatoire d’un Dispositif Électronique Fiscal (DEF) par toutes les entreprises assujetties à la TVA. Initialement prévue pour juillet 2025, son application a déjà connu des reports, sous la pression notamment de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC), qui craint un choc trop brutal pour un tissu économique encore largement informel.
En RDC, où la TVA s’élève à 16 % pour la consommation intérieure et les importations, et 0 % pour les exportations, son rendement reste inférieur aux standards internationaux : moins de 30 % des recettes fiscales, contre environ 50 % dans les économies mieux structurées. La fraude, les exemptions et une application inégale expliquent ce décalage.
Derrière la facture normalisée se dessine un triple objectif : Renforcer le civisme fiscal et élargir l’assiette de la TVA; Accroître la crédibilité des entreprises auprès des banques et investisseurs; Protéger les consommateurs contre la surfacturation et la falsification des factures. La DGI mise sur ce nouvel outil numérique pour transformer les habitudes fiscales et instaurer une meilleure traçabilité des transactions.
Les grands groupes et certaines entreprises formelles y voient une modernisation nécessaire, tandis que les PME et microentreprises redoutent le coût d’acquisition des DEF, la formation du personnel et une surcharge administrative.
Santé : les cliniques et laboratoires devront revoir leurs systèmes de gestion, un investissement lourd mais potentiellement bénéfique pour la traçabilité et la sécurisation des flux financiers.
Agro-industrie : la réforme pourrait encourager la formalisation des chaînes de valeur, mais seuls les acteurs de la transformation et de la grande distribution semblent pour l’instant concernés.
Transport et logistique : la culture du “tout cash” complique la transition, nécessitant un profond changement de mentalité.
Secteur culturel et numérique : artistes, billetteries et prestataires en ligne entrent pour la première fois dans le champ fiscal de manière structurée, un pas vers leur professionnalisation.
Si l’administration promet la fourniture de DEF et un accompagnement technique, le succès dépendra de trois leviers : L’homologation rapide et massive des logiciels; La formation adaptée aux réalités des différents secteurs; Une sensibilisation ciblée, notamment auprès des acteurs informels et peu bancarisés. Sans une adhésion pleine du secteur privé, la réforme pourrait creuser l’écart entre grandes entreprises et petits opérateurs, limitant son impact et nourrissant un sentiment d’injustice fiscale.
Bien appliquée, la facturation normalisée pourrait réduire la fraude, améliorer la prévisibilité budgétaire et rendre l’environnement des affaires plus équitable. Mais son avenir se jouera moins dans les textes que dans la capacité de la DGI à adapter son déploiement au terrain, en dialoguant constamment avec les acteurs économiques.
En misant sur le numérique pour sécuriser ses recettes, la RDC engage un pari audacieux : faire de la facture normalisée non pas seulement un instrument de contrôle, mais le socle d’un nouvel écosystème économique, plus formel, transparent et compétitif. Le défi sera de taille, mais son succès pourrait marquer un tournant historique pour la gouvernance économique du pays.


