La nouvelle a déferlé comme une onde de choc sur Kinshasa. L’annonce du projet de rebaptiser le mythique Stade Tata Raphaël en Stade Ali–Foreman a réveillé une clameur publique, un cri du cœur d’une ville profondément attachée à ce monument de son histoire. Dans les rues, sur les réseaux sociaux, dans les cercles d’intellectuels comme dans les conversations populaires, le même mot revient : respect.

Respect pour la mémoire. Respect pour l’histoire. Respect pour celui qui, bien avant le fracas des projecteurs du « combat du siècle », a bâti de ses mains un lieu de rêve et d’éducation sportive : le Père Raphaël de la Kethulle de Ryhove.
Construit dans les années 1950, le Stade Tata Raphaël n’est pas qu’une enceinte sportive : il est un sanctuaire de mémoire nationale. Ici, des générations entières ont vibré, chanté, pleuré et rêvé. Ici, le football congolais a trouvé son souffle, ses héros et ses mythes.
Alors, pour beaucoup, voir ce nom effacé au profit de celui d’un combat — aussi légendaire soit-il — sonne comme une blessure identitaire.
L’ASBL LesKinois, porte-voix d’une indignation grandissante, rejette catégoriquement cette idée qu’elle qualifie de « violation outrageuse de la mémoire collective ».

« Le Stade Tata Raphaël est un symbole fondateur du football congolais, un lieu de formation, de rassemblement et de fierté populaire », déclare l’association dans un communiqué au ton ferme. Selon elle, renommer ce lieu, c’est rompre le lien affectif entre le peuple et son patrimoine, c’est substituer une mémoire importée à une mémoire vécue.
Personne ne nie l’importance historique du combat Ali–Foreman de 1974, cet affrontement planétaire qui fit entrer Kinshasa dans la légende du sport mondial.
Mais pour LesKinois, honorer cet événement ne doit pas signifier effacer un autre héritage. L’association propose d’autres alternatives : la création d’un musée dédié à ce combat historique ou l’érection d’un monument commémoratif au sein même du stade. Car, comme le rappelle le communiqué : « Remplacer le nom Tata Raphaël par celui d’un événement étranger serait une rupture du lien identitaire entre le stade et la population kinoise. »
Derrière ce débat au-delà du sport, c’est toute la question de la mémoire nationale qui se pose. À qui appartiennent nos symboles ? Que veut-on transmettre à la génération suivante : la trace de ceux qui ont bâti, ou le souvenir de ceux qui sont passés ? Pour beaucoup de Kinois, Tata Raphaël, c’est un repère moral, un homme d’éducation et de bienveillance, un “père” au sens le plus noble.
Son nom, accolé à ce stade, rappelle le visage d’un Congo en construction, debout sur ses valeurs d’effort, de solidarité et de dignité.
Au-delà de la polémique, un consensus se dessine : le Stade Tata Raphaël n’est pas un simple bâtiment, mais un fragment vivant de la mémoire collective. Le rebaptiser serait, pour ses défenseurs, comme repeindre une fresque sans en comprendre les couleurs.

« Toucher au nom du Stade Tata Raphaël, c’est effacer une page vivante de notre identité », conclut la déclaration de LesKinois. Kinshasa, ville-mémoire et ville-monde, semble dire d’une seule voix : qu’on célèbre Ali et Foreman, mais qu’on n’efface pas Tata Raphaël.
Junior Kulele