En ce 3 mai 2025, la République Démocratique du Congo, à l’instar du reste du monde, célèbre la Journée mondiale de la liberté de la presse. Mais célébrer cette liberté dans le contexte congolais exige plus qu’un simple hommage aux principes : cela impose un véritable examen de conscience. Jusqu’où peut-on aller au nom de la liberté d’expression sans verser dans la diffamation, la manipulation ou la désinformation ?
Une presse libre, mais en perte de repères ?
Le journalisme congolais traverse une période de désorientation profonde. Autrefois synonyme d’excellence, de rigueur et d’éthique, le métier semble aujourd’hui livré à l’improvisation, au vacarme et aux règlements de compte en direct. Sur les plateaux et sur les réseaux, les cris ont remplacé les analyses, le spectacle a supplanté la substance. Les débats politiques tournent au procès, les émissions de société frôlent l’indécence, et certains journalistes, autrefois piliers de la vérité, semblent avoir troqué leur neutralité contre des intérêts politiques ou économiques.
Réseaux sociaux : la nouvelle jungle de l’information
C’est peut-être sur les réseaux sociaux que la liberté mal comprise prend les formes les plus préoccupantes. TikTok, Facebook Live, X (ex-Twitter)… deviennent le théâtre d’une information instantanée, sans filtre, souvent sans fondement. Le phénomène des « influenceurs/influenceuses » et des « lives » improvisés a introduit une ère où chacun se fait journaliste, analyste, procureur et juge, sans formation, sans cadre, sans responsabilité.
Le résultat ? Une prolifération de fake news, de rumeurs, de montages et de propos haineux qui alimentent la confusion dans l’opinion publique. La diffamation devient virale, la calomnie se vend bien, et le « balobi » (on dit que…) a remplacé l’enquête.
Comment réguler sans censurer ?
Face à ce chaos, la tentation est grande pour les autorités de durcir le ton. Mais toute tentative de régulation risque d’être perçue comme une atteinte à la liberté d’expression, tant le souvenir des censures du passé est encore frais. Comment alors encadrer ces dérives sans verser dans l’arbitraire ?
La réponse pourrait résider dans l’éducation aux médias, la responsabilisation des utilisateurs et l’application équilibrée des lois existantes. Il ne s’agit pas de bâillonner, mais de rappeler que la liberté ne dispense pas de l’éthique, que l’opinion n’est pas l’insulte, et que le journalisme est un métier qui requiert rigueur, formation et conscience sociale.
L’héritage trahi
Ce constat est d’autant plus amer que la RDC a produit de grands noms du journalisme, des pionniers respectés dont l’engagement et l’intégrité faisaient autorité. Ils ont défendu la vérité au péril de leur vie, dans des contextes bien plus oppressants. Aujourd’hui, leur héritage est trahi par une nouvelle génération, souvent plus attirée par le buzz que par le bien commun.
La liberté de la presse ne doit jamais être un prétexte pour désinformer, calomnier ou désintégrer le tissu social. Elle est un outil de construction, de veille démocratique, de mobilisation citoyenne. Elle doit servir à éclairer, non à obscurcir.
Vers un sursaut collectif ?
Le 3 mai ne doit pas être une commémoration de façade, mais un point de départ pour une réforme profonde de l’écosystème médiatique. Cela passe par : Le renforcement de la formation des journalistes ; La réforme des organes de régulation comme le CSAC pour plus de cohérence et de crédibilité ; Un appui financier et structurel aux médias indépendants ; Un encadrement clair et juste de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.
La liberté de la presse n’est pas une fin en soi. Elle est le socle sur lequel repose toute démocratie véritable. Mais mal utilisée, elle peut devenir une arme contre la vérité, la paix et la cohésion sociale. Il est temps de redonner du sens à la parole journalistique.
Junior Kulele