Kinshasa a retenu son souffle. Le temps d’une soirée, la capitale congolaise a plongé dans l’univers bouleversant de “Munganga, celui qui soigne”, un film vibrant d’émotion et de vérité, dédié au combat du Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, pour la dignité des femmes brisées par la guerre.

Organisée à l’initiative de Pona Congo, un réseau de passionnés du Congo, la projection de l’avant-première s’est tenue, dimanche 5 octobre, au Centre culturel et artistique pour les pays d’Afrique centrale (CCAPAC), devant un public ému et nombreux, composé de diplomates, d’artistes, de représentants du gouvernement, et du principal inspirateur du film, le docteur Mukwege lui-même.
Réalisé par Marie-Hélène Roux et produit par Cynthia Pinet et Angelina Jolie, “Munganga, celui qui soigne” s’inspire du livre “Panzi”, coécrit par Mukwege à partir de récits de survivantes. Le film s’ouvre sur une scène solennelle : Denis Mukwege, interprété par Isaac Bankole, prend la parole à l’ONU, dénonçant les atrocités commises à l’est du Congo, où les femmes deviennent les champs de bataille d’une guerre pour le contrôle des minerais.

De là, tout s’enchaîne : les viols, les cris, les fuites, les silences… Le réalisateur ne cache rien. Les images, dures mais nécessaires, ramènent le spectateur au cœur du chaos du Sud-Kivu, là où la barbarie côtoie l’espoir — celui incarné par Panzi, cet hôpital devenu symbole de résilience. Aux côtés de Mukwege, deux chirurgiens belges viennent prêter main forte à une cause qui dépasse la médecine : réparer l’humanité.
Dans l’obscurité du CCAPAC, le silence a souvent été rompu par des sanglots étouffés ou des cris d’horreur. Certains spectateurs ont détourné le regard, incapables de supporter la brutalité de certaines scènes. D’autres, au contraire, ont serré les poings comme pour dire : plus jamais ça. Le film n’est pas une simple œuvre artistique. Il agit comme un électrochoc. Une secousse morale. Une invitation à ne plus détourner les yeux.

Pour le Dr Mukwege : “Le monde refuse encore de regarder en face ce qui se passe au Congo”. Lors du panel organisé après la projection, Denis Mukwege a pris la parole, fidèle à sa douceur et à sa force mêlées. « Le viol est utilisé comme une arme de guerre dans cette région. Il est méthodique, planifié. Le pire, c’est qu’il se commet souvent en public, devant les enfants, devant les maris, devant la communauté. Cela détruit non seulement les victimes, mais toute une société », a-t-il déclaré avec émotion.
Le médecin a dénoncé l’indifférence de la communauté internationale, malgré des années de plaidoyer, de rapports et de documentaires : « On avait toujours l’impression que le monde ne voulait pas regarder en face ce qui se passe en République démocratique du Congo. » Il a plaidé pour la reconnaissance du viol de masse comme arme de guerre dans le droit pénal international.

Pour Mukwege, “Munganga, celui qui soigne” ouvre une brèche dans la conscience collective : « Beaucoup de gens qui ne pouvaient pas supporter les documentaires sont venus voir ce film. Et dans leurs yeux, j’ai vu de l’indignation. Une vraie. Celle qui pousse à l’action. »
Représentant la Première ministre Judith Suminwa Tuluka, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a salué une œuvre “nécessaire, courageuse et profondément humaine” : « Ce film est un outil puissant pour poursuivre la sensibilisation et la mobilisation contre les violences sexuelles en RDC. Il rappelle que derrière chaque victime, il y a une histoire, une vie, une dignité à défendre. »
“Munganga, celui qui soigne” n’est pas qu’un film : c’est une plaie ouverte, un miroir tendu à la conscience du monde, une invitation à transformer la douleur en justice. Dans une Kinshasa souvent bruyante et indifférente, cette soirée a eu la force d’un silence.
Un silence lourd… Mais porteur d’espérance.
Junior Kulele


