Il faisait partie de la première équipe ministérielle de Judith Suminwa. Le jour de la remise et reprise, Constant Mutamba, alors fraîchement nommé ministre d’État en charge de la Justice, s’était présenté dans une ambiance peu conventionnelle, accompagné de son chien de race, comme pour marquer son territoire dès les premiers instants.
Plein de verve et de détermination, il affichait une ambition claire : révolutionner l’appareil judiciaire congolais. Mais un an plus tard, c’est par la petite porte, bien que tête haute, qu’il quitte le ministère, emporté par un scandale de détournement présumé de fonds publics. Ironie du sort : la justice qu’il voulait soigner est désormais appelée à faire la lumière sur sa propre gestion.
Au cœur de cette affaire, un contrat de construction d’une maison carcérale à Kisangani, sa ville d’enfance, située dans la province de la Tshopo. Le projet, pourtant présenté comme une des vitrines de son programme d’humanisation des établissements pénitentiaires, est aujourd’hui soupçonné d’irrégularités financières majeures.
Tout a commencé en mars dernier, lorsque le procureur général près le Conseil de Cassation a saisi l’Assemblée nationale pour obtenir l’autorisation d’ouvrir une instruction préjuridictionnelle. Il reproche à Mutamba d’avoir violé les règles de passation des marchés publics, en recourant à un contrat gré à gré avec un entrepreneur jugé peu fiable. Selon le magistrat Firmin Mvonde, plus de 19 millions de dollars ont été versés sur le compte de ce prestataire, argent intercepté par voie bancaire. Dans sa saisine, il évoque clairement un acte assimilable à un détournement de deniers publics.
Après avoir entendu l’ancien ministre en commission, la Chambre basse du Parlement a fini par autoriser les poursuites judiciaires, à la faveur d’un vote largement favorable lors de la dernière plénière de la session de mars. La deuxième requête du procureur, plus détaillée et ciblée, a également contribué à faire tomber son ex-supérieur hiérarchique.
En seulement 12 mois, Constant Mutamba s’est imposé comme un visage fort de la justice congolaise, du moins dans l’opinion publique. Même s’il n’a pas fait l’unanimité au sein du corps judiciaire ou de la classe politique, son passage n’a pas été sans impact. Il a notamment été à l’initiative de : la proposition de loi sur la création du Tribunal pénal économique et financier, la condamnation à mort des ‘‘Kuluna’’, dans le cadre d’une politique sécuritaire musclée, la bancarisation des frais judiciaires, qui a permis une hausse sensible des recettes du secteur, la requalification des missions de l’Inspection générale de la Justice, et l’instauration du permis de culte pour les pasteurs, une mesure saluée par certains mais vivement contestée par plusieurs confessions évangéliques.
Peu après une rencontre discrète avec le président de la République, Mutamba a adressé sa lettre de démission, évoquant une cabale politique orchestrée de l’intérieur, avec des ramifications jusqu’à l’extérieur du gouvernement. Il s’est dit victime d’un règlement de comptes, affirmant avoir été sacrifié pour des motifs extra-judiciaires. Qu’on le soutienne ou qu’on le critique, Mutamba aura laissé une empreinte, faite d’initiatives visibles et parfois controversées, mais aussi d’un style direct, affirmé, souvent en rupture avec la tradition.
Aujourd’hui, l’opinion attend le procès annoncé, qui s’annonce comme un nouveau test de crédibilité pour la justice congolaise, mais aussi un révélateur des failles dans la gestion publique du pays. L’enjeu : savoir si la ligne rouge de la lutte contre la corruption peut traverser les appartenances politiques. Samuel Mbemba, son adjoint, a automatiquement repris les fonctions à titre intérimaire. Mutamba, lui, rejoint Stéphanie Mbombo, ex-ministre déléguée à l’Environnement, elle aussi tombée dans une tourmente politique un an plus tôt, et dont le poste reste vacant depuis.
Dans les couloirs du pouvoir, plus personne ne semble parler de ces départs. Comme si, en RDC, la politique avalait ses enfants à mesure qu’ils montent trop vite, ou qu’ils osent trop fort.
Constantin Ntambwe