La Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo, considérée comme la gardienne de la Constitution, traverse une période de remises en question profondes. En cause, son rôle dans la poursuite de hauts responsables politiques pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, à l’image de l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo, accusé dans le cadre du scandale financier du projet agro-industriel de Bukanga Lonzo.
Une Cour au cœur du système
Créée par la Constitution de 2006, la Cour constitutionnelle est compétente pour connaître du contentieux de la constitutionnalité, trancher les conflits de compétence entre institutions, valider les résultats électoraux et, plus politiquement, juger le Président de la République et le Premier ministre en cas de haute trahison, crimes de guerre, ou violations graves de la Constitution.
Mais ces compétences s’exercent uniquement « pendant l’exercice de leurs fonctions », précise l’article 164. Ce détail, souvent passé sous silence, a récemment provoqué une onde de choc dans les milieux juridiques et politiques.
Le cas Matata Ponyo : un test grandeur nature
Ancien Premier ministre (2012–2016), Matata Ponyo est poursuivi par le Parquet général près la Cour constitutionnelle dans le dossier Bukanga Lonzo. Le projet, censé relancer l’agriculture dans le pays, aurait englouti plus de 200 millions de dollars, sans résultats visibles. Des soupçons de détournements planent, notamment sur la gestion des fonds et le choix de partenaires.
Mais la procédure a buté sur une impasse juridique. En juillet 2021, la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour juger Matata Ponyo, estimant qu’il n’est plus Premier ministre et ne relève donc plus de sa juridiction. Cette décision a surpris plus d’un. Pour les uns, elle marque le respect strict du texte constitutionnel. Pour d’autres, elle illustre une incapacité de l’appareil judiciaire à tenir les anciens dirigeants pour responsables, ouvrant la voie à une impunité de fait.
Une faille constitutionnelle ?
La polémique a mis en lumière une zone grise de la Constitution congolaise. Si le Président et le Premier ministre en fonction peuvent être poursuivis par la Cour constitutionnelle après une mise en accusation votée par l’Assemblée nationale, aucune disposition claire ne traite du cas des anciens titulaires de ces fonctions, lorsqu’ils ne sont plus en poste.
La question devient donc brûlante : à quelle juridiction appartient le pouvoir de juger un ancien Premier ministre pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions, mais révélés après son départ ? Pour certains juristes, la Cour de cassation devrait prendre le relais. Pour d’autres, une réforme constitutionnelle s’impose.
Une justice entre droit et politique
Au-delà des aspects techniques, c’est la dimension politique de l’affaire qui retient l’attention. Matata Ponyo, aujourd’hui député national, jouit d’une immunité parlementaire. Sa levée est soumise à l’approbation de l’assemblée nationale, institution où il conserve une influence notable. Cela a ralenti la procédure, alimentant les accusations d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
Pour certains observateurs, la manœuvre judiciaire aurait pour objectif d’écarter un potentiel rival politique en perspective des échéances futures. Pour d’autres encore, elle révèle simplement l’urgence de renforcer l’indépendance des juridictions congolaises, souvent coincées entre la lettre de la loi et la pression politique.
Quelles perspectives ?
L’affaire Bukanga Lonzo montre que la RDC se trouve à un tournant : soit elle clarifie les compétences de ses juridictions pour garantir l’effectivité de la lutte contre l’impunité, soit elle continue d’exposer ses institutions aux blocages juridico-politiques. Dans un pays où la corruption reste endémique, la redevabilité des gouvernants, anciens ou actuels, constitue un enjeu crucial. Mais elle ne saurait se faire sans une justice forte, crédible et à l’abri des interférences.
L’heure est venue, peut-être, d’ouvrir un débat national sur la révision des articles 164 à 168 de la Constitution. Car si la Cour constitutionnelle est puissante, elle n’est aujourd’hui ni assez claire dans son champ d’action, ni suffisamment outillée pour répondre aux exigences d’un État de droit moderne.
Junior Kulele