À l’aube de l’indépendance en 1960, la République Démocratique du Congo héritait d’un système éducatif limité mais structuré, fortement soutenu par les missions catholiques. Ce modèle, bien que paternaliste et sélectif, avait permis l’émergence d’une élite congolaise éduquée. Plus de six décennies plus tard, l’enseignement congolais a connu un recul dramatique, à la fois en qualité, en accessibilité et en pertinence.
Un recul historique documenté
Dans les années 1960-1970, le Congo postcolonial affichait un taux de scolarisation relativement élevé en Afrique centrale, et ses institutions jouissaient d’un prestige académique régional. Mais les décennies suivantes, marquées par la dictature mobutiste, les crises économiques, les conflits armés et la mauvaise gouvernance, ont progressivement désintégré les fondations de l’enseignement national.
Aujourd’hui, le niveau de l’enseignement congolais est l’un des plus faibles d’Afrique, selon plusieurs rapports de l’UNESCO et de la Banque mondiale. Le pays peine à former des élèves capables de lire couramment ou de résoudre des opérations élémentaires en fin de cycle primaire. L’écart entre l’élève congolais et ses pairs d’Afrique australe ou de l’Est est de plus en plus marqué.
Un problème de langue aux racines profondes
L’un des défis majeurs reste la langue d’enseignement. Si le français demeure la langue officielle de scolarisation, il est loin d’être maîtrisé par une majorité d’élèves à leur entrée à l’école. L’absence de politique linguistique cohérente pour intégrer les langues nationales (lingala, swahili, kikongo, tshiluba) comme passerelles d’apprentissage a creusé un fossé entre élèves, enseignants et programmes scolaires. Le résultat : une perte de sens, une mémorisation mécanique, et une incapacité à construire des savoirs durables.
Infrastructures : l’école sous les arbres
Dans les milieux urbains comme en zones rurales, les infrastructures scolaires sont largement inadaptées. Il n’est pas rare de trouver des élèves entassés à plus de 100 par classe, partageant deux bancs pour quatre. Dans certaines provinces, des écoles fonctionnent sans toitures, sans tableaux, ni toilettes. L’électricité, les bibliothèques ou les laboratoires sont un luxe réservé à une poignée d’écoles urbaines, souvent privées.
Le secteur public est gravement sinistré. Les écoles véritablement publiques sont rares : dans la majorité des cas, les établissements dits « publics » sont en réalité gérés par des réseaux confessionnels (principalement catholiques, protestants, kimbanguistes) ou des structures privées à but lucratif, avec peu de régulation. Ce modèle hybride fragilise l’universalité du droit à l’éducation.
Efforts du gouvernement : une volonté confrontée à la réalité
Depuis 2019, la gratuité de l’enseignement primaire a été instaurée comme politique phare du président Félix Tshisekedi. Cette réforme a permis de ramener plus de 4 millions d’enfants à l’école, selon les estimations officielles. Mais elle s’est déployée sans planification suffisante ni financement durable. Résultat : classes surpeuplées, enseignants non formés, infrastructures saturées.
Par ailleurs, l’État a engagé des initiatives comme la réhabilitation de certaines écoles, la distribution de bancs et kits scolaires, et la mécanisation progressive de milliers d’enseignants. Des réformes sont en cours, notamment pour réviser les programmes scolaires et digitaliser l’administration éducative. Mais ces efforts sont encore insuffisants face à l’ampleur de la crise.
L’urgence d’un nouveau pacte éducatif
À l’ère de l’économie du savoir, l’enseignement congolais ne peut rester figé dans les recettes du passé. Il a besoin d’une refondation ambitieuse, articulée autour de plusieurs axes : Une revalorisation structurelle du métier d’enseignant, avec formation continue, rémunération décente et protection sociale ; Une planification rigoureuse des infrastructures scolaires, surtout en zones rurales ; Une politique linguistique inclusive, qui tienne compte des réalités sociolinguistiques locales ; Un contrôle plus strict des écoles privées et la réaffirmation du rôle central de l’État comme garant de l’éducation pour tous.
L’enseignement en RDC est aujourd’hui le reflet d’un pays à la croisée des chemins : riche en potentiel humain, mais incapable de le valoriser à travers un système éducatif digne. Il est temps de se dépasser pour poser les bases d’une vision éducative claire, cohérente et durable, capable de transformer le destin de millions d’enfants congolais.
Junior Kulele