C’est une visite qui n’est pas passée inaperçue dans les couloirs du pouvoir congolais. Le président togolais, Faure Essozimna Gnassingbé, fraîchement désigné médiateur dans la crise de l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), a foulé pour la première fois le sol de Kinshasa depuis sa nomination. Sa rencontre avec le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo marque le lancement d’une nouvelle tentative diplomatique sous l’égide de l’Union africaine (UA), dans un contexte de blocage total des précédentes initiatives.
Une diplomatie en quête de souffle
L’Union africaine cherche à relancer un processus de paix essoufflé. Après les initiatives de Luanda, visant à désamorcer la confrontation militaire entre la RDC et le Rwanda, et Nairobi, centrée sur le dialogue politique avec les groupes armés actifs dans l’Est congolais, l’arrivée de Faure Gnassingbé sur la scène est perçue comme un pari sur l’expérience et la discrétion. Fort de son rôle dans la médiation de plusieurs crises politiques en Afrique de l’Ouest, le chef d’État togolais s’inscrit dans la continuité d’un mécanisme continental souvent sollicité par Kinshasa, avec des résultats inégaux.
Bien que les contours de son mandat restent flous – aucun document officiel n’ayant encore précisé les modalités de son intervention – sa désignation sonne comme un signal : celui d’un changement de méthode et d’un besoin d’équilibrer les influences régionales, notamment face aux rivalités croissantes entre États membres de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et ceux de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).
Un contexte explosif
Le nouveau médiateur entre dans l’arène alors que les tensions entre Kinshasa et Kigali atteignent des sommets. Accusé par la RDC de soutenir la rébellion du M23, le Rwanda nie toute implication, tandis que les combats se poursuivent dans plusieurs zones du Nord-Kivu, exacerbant une crise humanitaire déjà alarmante.
Faure Gnassingbé devra composer avec un échiquier complexe : la méfiance bilatérale RDC-Rwanda, la prolifération des groupes armés, la fragilité du cessez-le-feu, mais aussi la désillusion croissante d’une population victime des violences à répétition. Les relations tendues entre Kinshasa et certains partenaires internationaux ajoutent un niveau supplémentaire de difficulté.
Une mission en héritage
La médiation togolaise s’ajoute à une longue liste d’interventions diplomatiques dans la crise congolaise. Ketumile Masire, Thabo Mbeki, Eden Kodjo, Olusegun Obasanjo, Uhuru Kenyatta, autant de figures africaines ayant tenté, avec plus ou moins de succès, de ramener la paix. Le cas le plus marquant reste sans doute l’accord global et inclusif du 15 avril 2002, fruit du dialogue inter-congolais mené sous l’impulsion de Mbeki, qui permit une transition pacifique.
Plus récemment, Uhuru Kenyatta, ancien président kényan, avait tenté de rétablir le dialogue à travers le processus de Nairobi, suspendu en décembre 2022 après l’accord entre Kinshasa et les pays de l’EAC, qui introduisait une force militaire régionale désormais en retrait. Malgré son retrait, Kenyatta reste impliqué aux côtés de deux autres anciens chefs d’État – Olusegun Obasanjo et Hailemariam Desalegn – dans un panel de médiateurs désignés lors d’une réunion conjointe de la SADC et de l’EAC tenue à Dar es Salaam en février 2025.
En quête d’un nouveau souffle
La nomination de Faure Gnassingbé, bien qu’accueillie avec prudence à Kinshasa, a suscité des critiques dans son propre pays, où une frange de la société civile conteste sa légitimité à incarner les valeurs démocratiques. Néanmoins, l’UA semble avoir misé sur sa capacité à tisser des liens discrets avec les différents protagonistes et à incarner une figure de compromis entre les puissances régionales.
Sa mission consistera à rétablir un cadre de confiance, relancer les négociations de Nairobi, promouvoir un cessez-le-feu durable et garantir la participation inclusive des acteurs congolais, y compris les communautés locales souvent marginalisées.
Un défi de taille
La réussite de Faure Gnassingbé dépendra de plusieurs facteurs : l’implication sincère des parties prenantes, la coordination avec les mécanismes régionaux tels que la CIRGL (Conférence internationale sur la région des Grands Lacs) et l’EAC, mais surtout d’un appui politique fort de l’Union africaine, capable d’imposer des lignes rouges et de relancer la dynamique diplomatique.
Alors que les précédents processus se sont heurtés à des logiques de guerre et à la compétition d’influences régionales, la mission du président togolais se présente comme l’une des plus délicates entreprises de médiation du continent. Pragmatisme, écoute et fermeté seront ses meilleurs alliés dans ce bras de fer silencieux pour la paix.
Junior Kulele