Face à la crise sécuritaire grandissante dans l’Est de la RDC, marquée par l’avancée du M23 soutenu par le Rwanda, le président Félix Tshisekedi a annoncé une restructuration de la direction de l’Union Sacrée et envisagé la formation d’un gouvernement d’union nationale. L’objectif : mobiliser toutes les forces politiques et sociales pour faire face à l’agression. Cependant, cette initiative, bien que perçue par certains comme un moyen de stabiliser la situation politique, est fortement rejetée par l’opposition, qui y voit une manœuvre de diversion plutôt qu’une solution aux véritables problèmes du pays.
Lors de son discours devant les députés nationaux, sénateurs, chefs des partis et regroupements politiques de l’Union Sacrée, Félix Tshisekedi a donné les grandes lignes de sa riposte politique. Il a insisté sur la nécessité d’unité et de mobilisation face à l’ennemi, évoquant également un changement profond à la fois politique et militaire.
Dans le même temps, les pressions régionales et internationales en faveur du dialogue se multiplient, ce qui pousse Kinshasa à envisager un élargissement de l’exécutif. Une telle décision pourrait redéfinir la stratégie du pays face à la guerre, mais elle divise profondément la classe politique congolaise.
De Martin Fayulu à Moïse Katumbi, en passant par Delly Sessanga, l’opposition rejette catégoriquement cette proposition. Ces leaders estiment qu’un gouvernement d’union nationale ne ferait que perpétuer un partage de pouvoir sans effet réel sur la souffrance des Congolais. Pour eux, la priorité est d’engager un dialogue national sincère, afin d’identifier et de corriger les défaillances structurelles de la gouvernance actuelle.
Cependant, certains analystes politiques estiment qu’un gouvernement d’union pourrait au contraire baisser la tension politique et permettre des réformes consensuelles. Mais la question demeure : un tel gouvernement aurait-il une réelle efficacité, ou ne serait-il qu’une répétition des erreurs du passé ?
L’idée d’un gouvernement élargi en période de crise n’est pas nouvelle en RDC. Depuis l’indépendance, plusieurs gouvernements d’union ont été formés, souvent dans des contextes de crise aiguë. Dans les années 90, alors que le régime de Mobutu Sese Seko était en perte de vitesse face aux pressions internes et externes, plusieurs tentatives de gouvernements d’union nationale ont été faites. L’un des plus marquants a été dirigé par Étienne Tshisekedi. Pourtant, ces alliances politiques n’ont pas empêché l’effondrement du régime en 1997, avec l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir.
Lorsque Laurent-Désiré Kabila a pris le pouvoir en 1997, il a constitué un gouvernement marqué par la présence de diverses forces rebelles et politiques. Mais la guerre contre le Rwanda et l’Ouganda a rapidement renforcé la méfiance entre les acteurs et empêché toute réelle cohésion. Son assassinat en 2001 a précipité l’arrivée au pouvoir de son fils, Joseph Kabila.
En 2012, après la prise de Goma par le M23, Joseph Kabila avait convoqué les Concertations Nationales, un forum politique qui avait recommandé la formation d’un gouvernement élargi aux forces de l’opposition. Malgré ces efforts, le gouvernement issu de ces concertations n’a pas réussi à attaquer les causes réelles de la crise, notamment la persistance de l’ingérence étrangère et la faiblesse des réformes sécuritaires. Aujourd’hui, la question se pose : Félix Tshisekedi tombera-t-il dans le même piège ?
Depuis son départ du pouvoir en 2019, Joseph Kabila reste discret, mais ses proches continuent de jouer un rôle politique en RDC. Face à l’agression du M23, plusieurs figures de son camp critiquent la gestion actuelle de la crise et appellent à une approche plus ferme. Kabila lui-même, connu pour son pragmatisme en matière de sécurité, privilégiait souvent des solutions militaires combinées à la diplomatie discrète.
Cependant, contrairement à l’époque où Kabila bénéficiait d’un soutien militaire plus structuré, Tshisekedi doit composer avec une armée affaiblie et une pression diplomatique accrue. Alors que la guerre s’intensifie et que la pression diplomatique s’accroît, la question d’un gouvernement élargi reste en suspens. Si Tshisekedi franchit ce pas, avec qui gouvernera-t-il si la majorité de l’opposition refuse de le rejoindre ? Ce gouvernement aurait-il un réel impact sur la guerre ou ne serait-il qu’une manœuvre politique ?
L’histoire va-t-elle se répéter une fois de plus, comme sous Mobutu et Joseph Kabila ?
Le président congolais est à un tournant décisif. Sa capacité à trouver un équilibre entre unité nationale et efficacité gouvernementale pourrait déterminer l’issue de cette crise. Mais une chose est sûre : le peuple congolais attend des actions concrètes et non de simples réaménagements politiques.
Junior Kulele