En ce 3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse, le paysage médiatique congolais continue de naviguer entre espoirs de réforme, inerties administratives et pressions multiformes. Malgré la tenue des États Généraux de la Communication et des Médias en janvier 2022 et l’adoption de la loi Muyaya censée moderniser le secteur, la situation du journaliste congolais reste fragile, parfois précaire, souvent périlleuse.
Les États généraux de la presse : un souffle d’espoir… resté suspendu ?
Annoncés comme une grande première depuis l’indépendance, les États Généraux de la Presse avaient suscité une immense attente. Ces assises avaient abouti à une série de recommandations ambitieuses : revalorisation du statut du journaliste, régulation indépendante, réforme du CSAC, professionnalisation des médias, accès aux subventions étatiques, protection juridique des journalistes, etc.
Mais trois ans plus tard, la mise en œuvre de ces résolutions reste en grande partie inachevée, voire ignorée. Si quelques avancées ont été observées dans l’élaboration de textes réglementaires, peu de changements structurels ont été ressentis sur le terrain, notamment en ce qui concerne l’amélioration des conditions de travail et la sécurité des journalistes.
La loi Muyaya : une avancée législative, mais quelle application ?
Adoptée en 2023 et censée remplacer un cadre légal obsolète datant de l’époque Mobutu, la loi sur la liberté de la presse — communément appelée « loi Muyaya », du nom du ministre de la Communication — promettait une révolution dans la manière d’informer et d’être informé. Elle introduisait notamment : L’abolition du délit de presse, au profit de mécanismes civils de réparation ; La dépénalisation partielle des infractions de presse, sauf en cas d’incitation à la haine ou d’atteinte à la sûreté de l’État ; La reconnaissance juridique du journalisme en ligne ; L’obligation pour l’État de garantir la protection physique et judiciaire des journalistes dans l’exercice de leur métier.
Toutefois, la loi peine à être appliquée pleinement. Des journalistes continuent d’être arrêtés arbitrairement, poursuivis pour diffamation ou incarcérés pour avoir relayé des informations d’intérêt public. La méconnaissance du texte par une partie du système judiciaire, et l’absence d’un suivi rigoureux de son application, en réduisent l’impact concret.
Le journaliste congolais : entre engagement et vulnérabilité
En RDC, exercer le métier de journaliste reste un acte de résistance civique. Menaces, intimidations, arrestations arbitraires, violences physiques, précarité financière, censure directe ou indirecte… la liberté de la presse est encore une liberté sous condition.
La situation est d’autant plus complexe que l’indépendance éditoriale des médias est souvent compromise, beaucoup étant sous contrôle de groupes politiques, économiques ou religieux. Et en l’absence de véritables mécanismes de financement public ou de soutien aux médias communautaires, la survie de nombreux organes repose sur la publicité politique ou l’autocensure.
Le délit de presse : vers une abolition effective ?
Bien que la loi Muyaya ait supprimé formellement le délit de presse, des poursuites pénales continuent d’être initiées sur base de lois générales, notamment celles relatives à la sûreté de l’État ou à l’ordre public. Cette incohérence juridique entretient une insécurité juridique pour les professionnels des médias, et appelle à une réforme profonde du code pénal et de la formation des magistrats sur les nouvelles normes.
Et demain ?
La liberté de la presse ne se décrète pas, elle se construit. Elle suppose des institutions fortes, des journalistes bien formés et protégés, des médias viables financièrement, et un engagement politique sincère en faveur de la démocratie.
En ce 3 mai 2025, la République Démocratique du Congo est appelée à transformer les textes en actions, les résolutions en politiques publiques, et la volonté en résultats tangibles. Sans presse libre et indépendante, aucune réforme durable ne peut prospérer, et aucun pouvoir ne peut être véritablement contrôlé. La liberté de la presse n’est pas un luxe. C’est une condition essentielle à la paix, à la justice et à la dignité humaine.
Junior Kulele