La question du fédéralisme en République Démocratique du Congo (RDC) revient régulièrement dans le débat public, notamment en période de crise institutionnelle ou de déséquilibres économiques persistants. Olivier Kamitatu, ancien président du Parlement de Transition et directeur de cabinet de l’opposant Moïse Katumbi, a relancé ce débat en appelant à la création d’une République Fédérale du Congo, structurée autour de cinq grandes régions autonomes. Une proposition audacieuse, qui suscite à la fois espoirs et craintes.
Les arguments en faveur du fédéralisme
Une gouvernance de proximité La RDC, vaste pays-continent, peine depuis longtemps à assurer une administration efficace dans ses régions les plus éloignées. Le fédéralisme permettrait aux populations locales d’être gouvernées par des dirigeants élus au plus près de leurs réalités. Cela favoriserait une gestion plus adaptée des politiques publiques en matière de santé, d’éducation, d’infrastructures et de sécurité.
Une meilleure valorisation des ressources régionales Kamitatu propose un modèle où chaque région gérerait 60% de ses revenus issus des ressources naturelles, avec une contribution à un fonds d’égalisation interrégional. Ce mécanisme encouragerait les régions à développer leurs potentiels économiques (mines au Katanga, agriculture en Équateur, port de Banana au Kongo Central …), tout en réduisant les frustrations liées à la centralisation excessive des richesses.
Une réponse aux conflits armés et à l’instabilité En donnant plus de pouvoir aux autorités régionales, notamment en matière de sécurité, un système fédéral pourrait améliorer la prévention des conflits et le traitement rapide des crises. L’Est de la RDC, en proie à des groupes armés depuis des décennies, bénéficierait d’une gouvernance locale renforcée, plus réactive que le pouvoir central souvent distant.
Une valorisation de la diversité, le fédéralisme, s’il est bien encadré, permettrait de reconnaître et d’intégrer la richesse culturelle, linguistique et historique des différentes régions du Congo, sans mettre en péril l’unité nationale. Il pourrait ainsi constituer un remède contre les frustrations identitaires et ethniques qui alimentent les tensions.
Les arguments contre le fédéralisme
Le risque de fragmentation nationale pour ses détracteurs, le fédéralisme pourrait ouvrir la voie à une balkanisation du pays. Dans un État fragile, encore en construction, certains craignent que l’autonomie régionale alimente des ambitions sécessionnistes, notamment dans les régions riches comme le Katanga ou le Kasaï.
Des capacités locales encore limitées, le passage à un système fédéral exige des institutions locales solides, des administrations efficaces et un personnel qualifié. Or, plusieurs provinces congolaises souffrent d’un manque criant de compétences et d’infrastructures. Sans un renforcement préalable des capacités locales, le fédéralisme pourrait aggraver la mauvaise gouvernance au niveau régional.
Des disparités économiques persistantes. Si chaque région garde la majorité de ses revenus, les moins dotées risquent de s’enfoncer davantage dans la pauvreté, malgré l’existence d’un fonds d’égalisation. Le fédéralisme pourrait ainsi creuser les inégalités entre régions, à moins qu’il ne soit accompagné de mécanismes puissants de solidarité nationale.
Un processus de réforme complexe et conflictuel. Modifier la structure de l’État congolais exigerait une réforme profonde de la Constitution, un consensus national et un climat politique apaisé. Or, dans un contexte de conflits armés dans l’Est, de tensions politiques autour des élections, et de retour annoncé de figures politiques influentes, un tel débat pourrait polariser davantage le pays.
Une réforme à penser collectivement
La proposition d’Olivier Kamitatu ouvre un débat crucial sur la gouvernance en RDC. Le fédéralisme n’est pas en soi une menace pour l’unité, à condition qu’il soit bien encadré, accompagné de réformes institutionnelles, de mécanismes de solidarité, et de garanties constitutionnelles solides.
Mais au-delà des arguments pour ou contre, la question centrale reste celle-ci : le Congo est-il prêt à assumer les exigences d’un État fédéral ? Répondre à cette question suppose un dialogue national inclusif, loin des calculs électoraux ou des tensions conjoncturelles. Si tel débat venait à s’ouvrir sérieusement, il pourrait devenir un levier majeur de refondation nationale, ou au contraire, un facteur de désintégration, selon la manière dont il serait conduit.
Le choix entre centralisation renforcée, décentralisation approfondie ou fédéralisme véritable devra donc s’inscrire dans une vision claire, partagée et mûrie du Congo de demain.
Junior Kulele