La récente rencontre entre Son Excellence Dr Mohammed bin Abdulaziz bin Saleh Al-Khulaifi, ministre d’État du Qatar aux Affaires étrangères, et une délégation des responsables religieux congolais (la Conférence épiscopale nationale du Congo et l’Union des Églises protestantes) met en lumière une nouvelle dynamique dans les efforts diplomatiques autour de la crise à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC).
Cette réunion, au-delà de sa dimension protocolaire, soulève une question essentielle : le Pacte social, porté par les églises et les forces vives de la nation, peut-il réellement être entendu et intégré par les autorités congolaises dans le processus de sortie de crise ?
Un Pacte social : expression d’un besoin de refondation
Depuis plusieurs années, les confessions religieuses, en tant qu’acteurs historiques de la société civile congolaise, plaident pour l’adoption d’un pacte social. Ce projet vise à réconcilier les institutions, les populations, les forces sociales et économiques autour d’un socle commun de valeurs : la justice, la transparence, la solidarité, et surtout, la paix. Il ne s’agit pas uniquement d’un programme social, mais bien d’un cadre politique et moral, destiné à remettre la population au cœur de l’action publique et à restaurer la confiance entre gouvernants et gouvernés.
Dans un contexte d’instabilité persistante dans l’Est, où la souveraineté du pays est menacée par les rébellions armées soutenues de l’extérieur — notamment le M23 appuyé par le Rwanda — le Pacte social se présente comme un outil de cohésion nationale, capable de rassembler toutes les sensibilités autour d’un projet commun.
Une ouverture politique favorable mais incertaine
Le gouvernement du Président Félix Tshisekedi a, à plusieurs reprises, manifesté son attachement au dialogue national et à la participation citoyenne. Des initiatives comme le Programme de développement local des 145 territoires (PDL-145T) ou la reconnaissance du rôle des confessions religieuses dans l’éducation et la médiation sociale témoignent d’une certaine écoute. De plus, l’implication du Qatar et d’autres partenaires étrangers dans la facilitation du dialogue avec le Rwanda, notamment à travers le processus de Doha, pourrait ouvrir un espace où les propositions internes, comme le Pacte social, trouvent un écho dans la diplomatie régionale.
Mais au-delà des discours, le défi reste la volonté politique réelle d’ouvrir un dialogue inclusif et de rompre avec une gouvernance souvent jugée centralisée, opaque et peu participative. Or, c’est précisément ce que le Pacte social remet en question.
Une pression morale croissante sur les autorités
Le rôle des Églises dans l’histoire politique congolaise est loin d’être anecdotique. Elles disposent d’une autorité morale considérable et jouissent d’une écoute populaire plus stable que beaucoup d’institutions politiques. Leur alliance avec des partenaires internationaux comme le Qatar, soucieux de promouvoir le dialogue et la paix, renforce leur légitimité sur la scène diplomatique. Cela crée une pression morale croissante sur les autorités, qui ne peuvent ignorer éternellement la voix d’une société civile unie autour d’une proposition structurée.
Le Pacte social a une chance réelle d’être pris en compte, à condition que : Le gouvernement congolais accepte de sortir d’une gouvernance en silo pour engager un dialogue national ouvert et structuré ; Les partenaires internationaux, comme le Qatar, la Belgique ou l’Union européenne, soutiennent activement les propositions venues de la société civile ; Les Églises poursuivent leur travail de sensibilisation tout en construisant un consensus large autour du contenu du pacte, au-delà des clivages religieux ou politiques.
L’histoire politique de la RDC montre que le changement profond est rarement imposé d’en haut, mais souvent le fruit d’un élan collectif. Le Pacte social pourrait bien être ce levier, à condition qu’il soit entendu avant qu’il ne soit trop tard.
Junior Kulele