Alors que le second mandat du Président Félix Tshisekedi se voulait porteur de stabilité et de renouveau pour les institutions provinciales, les récents événements dans plusieurs provinces de la République Démocratique du Congo révèlent au contraire un climat politique de plus en plus tendu, ponctué par une recrudescence de motions de défiance, de conflits ouverts entre les Assemblées provinciales et les exécutifs, et d’interventions controversées du pouvoir central.
La destitution, en l’espace de quelques jours, des gouverneurs Jean-Paul Mbwebwa Kapo au Kasaï Oriental et Victor Kitenge dans le Sankuru a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Dans les deux cas, les Assemblées provinciales ont brandi les accusations de détournement de fonds publics et d’incompétence notoire. Des griefs graves qui traduisent le malaise profond entre élus provinciaux et gouverneurs. Pourtant, ces motions sont loin de faire l’unanimité quant à leur régularité et leur légitimité.
Jean-Paul Mbwebwa, par exemple, conteste vigoureusement sa déchéance, qu’il qualifie d’illégale, et a saisi la Cour constitutionnelle pour rétablir ce qu’il considère comme son droit. Le Vice-premier ministre de l’Intérieur a, en attendant, nommé son adjoint pour assurer l’intérim. Dans le Sankuru, la tension est montée d’un cran lorsque le gouvernement central a purement et simplement suspendu l’Assemblée provinciale, une décision jugée autoritaire par certains juristes et observateurs de la scène politique.
Cette situation n’est pas nouvelle. Déjà au cours du premier mandat de Félix Tshisekedi, plusieurs provinces avaient été paralysées par une instabilité institutionnelle chronique : motions en cascade, ingérences du pouvoir central, gouverneurs changeants, gouvernance administrative à l’arrêt. Le Kasaï Oriental, le Kwango, le Sankuru ou encore le Haut-Uélé en ont été des exemples frappants.
En réaction à cette résurgence des tensions, le Président de la République a exprimé son exaspération lors de la 44ᵉ réunion du Conseil des ministres, dénonçant des « actes de déstabilisation inacceptables » et exhortant les institutions provinciales à privilégier la stabilité et le développement.
Une note circulaire du Vice-premier ministre de l’Intérieur avait d’ailleurs été diffusée en ce sens, appelant à la retenue et à la responsabilité, mais les faits récents prouvent que l’appel n’a guère été entendu.
Face à ce cycle sans fin de crises institutionnelles, certains analystes et hommes politiques plaident pour l’instauration d’un moratoire sur les motions de défiance visant les gouverneurs, du moins pendant une période déterminée. L’objectif serait de consolider la stabilité administrative et de permettre aux exécutifs provinciaux de mettre en œuvre leurs programmes sans interruption permanente.
Mais cette solution n’est pas sans risques : elle pourrait être perçue comme une remise en cause de la séparation des pouvoirs et du droit de contrôle que les Assemblées provinciales détiennent légitimement. De plus, certains élus affirment que la récurrence des motions n’est que le reflet d’une mauvaise gouvernance endémique à la tête de nombreuses provinces. La question des qualifications et compétences réelles des gouverneurs nommés ou élus reste donc entière.
Un consensus semble toutefois émerger sur un point central : la question des finances provinciales est au cœur de la plupart des crises. Dans un contexte marqué par le non-paiement régulier de la rétrocession due par le pouvoir central, les rares fonds reçus sont souvent utilisés dans l’urgence ou à d’autres fins que l’investissement, ouvrant la porte à des suspicions, fondées ou non.
Lors de la 11ᵉ Conférence des gouverneurs à Kalemie, les exécutifs provinciaux avaient déjà alerté le Chef de l’État sur les difficultés liées au financement des provinces. À la veille de la 12ᵉ Conférence prévue au Lualaba, ce dossier reste entier : comment exiger efficacité et transparence des gouverneurs sans leur donner les moyens nécessaires à leur action ?
Il apparaît de plus en plus évident que la stabilité des provinces ne pourra être atteinte sans réformes institutionnelles et financières majeures. Il s’agit notamment de : Clarifier le cadre juridique entourant les motions de défiance pour éviter les abus, renforcer les mécanismes de reddition de comptes objectifs et indépendants, garantir la régularité de la rétrocession aux provinces, mieux encadrer le profil et la sélection des candidats à la tête des exécutifs provinciaux.
L’hémorragie institutionnelle que connaissent les provinces de la RDC est le symptôme d’un État encore trop centralisé, trop politisé et parfois dysfonctionnel à l’échelle locale. Sans une volonté politique forte de stabiliser les institutions, respecter les procédures démocratiques et financer correctement les entités décentralisées, les conflits entre Assemblées provinciales et gouverneurs ne feront que se multiplier, au détriment des populations qui attendent, avant tout, développement, services et paix.
Junior Kulele