Depuis Bruxelles, le président congolais Félix Tshisekedi a surpris l’opinion en lançant, lors du Global Gateway Forum, un appel direct à son homologue rwandais, Paul Kagame, pour « faire la paix des braves ».Dans un ton à la fois ferme et conciliant, il a exhorté le président rwandais à donner l’ordre aux troupes du M23, soutenues par votre pays, de cesser l’escalade des hostilités. Ce discours, tenu le 8 octobre 2025, a provoqué un revirement diplomatique spectaculaire, après plusieurs mois de tensions persistantes entre Kinshasa et Kigali.
Pour la première fois depuis des années, Félix Tshisekedi a formulé un appel public et solennel au président rwandais, dans un cadre européen, sous le regard de plusieurs partenaires internationaux.Cette sortie marque un retour à la diplomatie du dialogue, méthode qu’il avait privilégiée dès le début de son mandat avant que les affrontements dans l’Est de la RDC ne figent les relations entre les deux pays.
« Dès son accession à la magistrature suprême, le Président de la République a systématiquement tendu la main à tous ses voisins, y compris le Rwanda, pour asseoir des relations de bon voisinage et de coopération. Ce dialogue est, et a toujours été, sa méthode privilégiée de résolution des différends », a rappelé Tina Salama, porte-parole du chef de l’État. Pour elle, la déclaration de Bruxelles n’est pas une improvisation, mais une réaffirmation de la constance diplomatique du président Tshisekedi : celle de la paix par la concertation.
Du côté du Rwanda, Paul Kagame a réagi avec une prudence mesurée. Selon des sources diplomatiques proches du gouvernement rwandais, Kigali accueille l’appel congolais comme un signal positif, mais reste réservé sur ses implications concrètes. Le président rwandais, en marge d’un entretien accordé à la presse régionale, avait déclaré : « Le Rwanda est toujours prêt pour la paix. Mais la paix se construit sur la vérité et la confiance mutuelle. Nous devons éviter les accusations infondées et les doubles discours. »
Un ton qui confirme la méfiance persistante entre les deux capitales. Kigali maintient sa position officielle : le Rwanda nie tout soutien direct au M23, qu’il présente comme un mouvement « congolais interne », et continue de dénoncer la présence des FDLR (forces issues du génocide de 1994) en territoire congolais.
En République démocratique du Congo, la sortie du président Tshisekedi a divisé la classe politique.Certains y voient un geste courageux, d’autres un calcul diplomatique à haut risque. Pour Delly Sessanga, député de l’opposition et président du parti Envol, cet appel « soulève de sérieuses questions sur la cohérence de la politique étrangère congolaise ».
« Après tant d’années de crimes, d’atteintes à notre souveraineté et de souffrances dans l’Est, parler de paix sans justice risque d’être perçu comme un aveu de faiblesse. Le président doit s’assurer que cette main tendue ne se transforme pas en capitulation politique », a-t-il déclaré.
Du côté du gouvernement, on défend plutôt une initiative responsable et courageuse. Un conseiller du ministère des Affaires étrangères évoque « une main tendue dans la dignité », ajoutant que la RDC ne cherche pas la paix par la soumission, mais par la restauration d’un ordre régional fondé sur le respect mutuel.
Plusieurs observateurs internationaux ont salué le geste du président congolais, y voyant une ouverture qui pourrait relancer le processus de désescalade régionale. La Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU en RDC, Bintou Keita, a souligné que cette initiative « s’inscrit dans la logique des efforts multilatéraux entrepris à Washington et à Doha pour ramener la stabilité dans les Grands Lacs ». À Bruxelles, les diplomates européens ont également encouragé cette démarche, tout en rappelant que « la paix ne sera possible que si les engagements pris de part et d’autre se traduisent par des actes vérifiables sur le terrain ».
L’appel à la « paix des braves » traduit un changement de ton stratégique. Face à la lassitude de la guerre dans l’Est et à la pression internationale croissante, Tshisekedi semble vouloir reprendre l’initiative politique en se présentant comme artisan d’une paix durable, sans pour autant renoncer à la fermeté. Mais la réussite dépendra de la réaction de Kigali.
Si Paul Kagame saisit cette main tendue, ce sera un tournant historique pour la région des Grands Lacs. S’il l’ignore ou la repousse, la RDC pourra désormais revendiquer d’avoir choisi la voie de la diplomatie avant toute autre — un avantage moral et politique dans les futures médiations.
Félix Tshisekedi a voulu rompre le cycle de la confrontation verbale et des accusations croisées. Son message, lancé depuis le cœur de l’Europe, vise à replacer la RDC au centre du dialogue régional et international sur la paix dans les Grands Lacs. Reste à savoir si Paul Kagame saisira la main tendue — celle d’un voisin prêt à tourner la page, mais pas à courber l’échine.
Junior Kulele
