Annoncée d’abord pour le 15 juin, la signature officielle de l’accord de paix entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda interviendra finalement le 27 juin prochain. Fruit de trois jours de discussions intenses à Washington, sous la médiation des États-Unis et en présence d’un émissaire du Qatar, ce texte marque une nouvelle tentative de tourner la page d’un conflit qui dévaste l’est de la RDC depuis des décennies.
Mais derrière les engagements de principe, ce projet d’accord ravive des souvenirs douloureux et soulève de sérieuses inquiétudes sur sa mise en œuvre réelle, notamment autour de la question de « l’intégration conditionnelle » de certains éléments rebelles dans les Forces armées de la RDC (FARDC).
Le document paraphé à Washington s’articule autour de six grands axes : le respect de l’intégrité territoriale des États, la cessation des hostilités, le désengagement des groupes armés non étatiques, l’intégration conditionnelle de certains éléments, le retour des réfugiés et déplacés internes, et la création d’un mécanisme conjoint de coordination sécuritaire, inspiré du concept d’opérationnalisation du 31 octobre 2024.
Ce socle est conçu pour créer une dynamique régionale de paix et de prospérité, adossée à une intégration économique renforcée entre les pays des Grands Lacs. Un sommet des chefs d’État est d’ailleurs prévu à Washington pour donner une impulsion politique forte à cet accord.
Si plusieurs volets de l’accord semblent faire consensus, le point relatif à l’ »intégration conditionnelle » de certains combattants inquiète profondément à Kinshasa et dans une large partie de l’opinion publique congolaise. En filigrane, le spectre du M23, soutenu par Kigali, se profile derrière cette formule ambiguë.
Pour les observateurs, cette clause rappelle les brassage et mixage des années 2000, consécutifs aux accords de Sun City (2003) et de Goma (2009), qui avaient permis à des rebelles – notamment du CNDP puis du M23 – d’intégrer l’armée nationale sans véritable désarmement, sans filtrage ni démobilisation. Ces intégrations bâclées ont eu pour effet pervers de fragiliser les FARDC, d’y introduire des chaînes de commandement parallèles et de maintenir des foyers de rébellion permanents dans l’est du pays.
Conscient de cette perception négative et des risques politiques internes, Kinshasa a tenté de clarifier les contours de cette intégration dite « conditionnelle ». À travers un tweet sans équivoque, la porte-parole du président Tshisekedi a réaffirmé que toute intégration devra être strictement encadrée par le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion communautaire (P-DDRCS), lancé en 2021.
Contrairement aux approches antérieures, le P-DDRCS s’appuie sur une démarche communautaire et rigoureuse, avec des étapes précises : dépôt volontaire des armes, enregistrement biométrique, filtrage sécuritaire, choix entre réinsertion civile ou, à titre exceptionnel, militaire. Le message est clair : il ne s’agira plus d’un recyclage automatique de groupes armés, mais d’un processus contrôlé, transparent et sélectif, conforme à l’esprit du processus de Nairobi.
Pour que cet accord tienne, encore faut-il que toutes les parties respectent leurs engagements. Et c’est là que le bât blesse. Le Rwanda, accusé par Kinshasa, l’ONU et plusieurs chancelleries occidentales de soutenir militairement le M23, continue de nier toute implication directe. Kinshasa, pour sa part, a récemment dénoncé le remplacement forcé de populations congolaises par des familles rwandophones dans les zones occupées par l’AFC/M23, ce qui alimente les soupçons de balkanisation et de nettoyage ethnique.
Dans ce contexte, l’accord signé perd une partie de sa crédibilité s’il n’est pas assorti de mécanismes vérifiables de retrait des troupes rwandaises du territoire congolais, et d’un démantèlement réel des structures du M23.
Cet accord, présenté comme une percée diplomatique majeure, pourrait marquer un tournant. Mais il porte aussi en lui les germes d’une rechute, s’il est appliqué à moitié ou utilisé par les groupes rebelles pour gagner du temps, se réorganiser et revenir plus forts.
Pour espérer un effet durable, plusieurs conditions doivent être réunies : un désarmement total des combattants du M23, une vérification indépendante du retrait des troupes étrangères, une réinsertion socio-économique des ex-combattants crédibles, et surtout, une volonté politique forte de rompre avec la logique de compromis tactique au détriment de l’intérêt national.
L’accord du 27 juin peut être un jalon historique vers la paix dans la région des Grands Lacs. Mais la mémoire collective congolaise, meurtrie par des décennies de trahisons et de deals sécuritaires opaques, invite à la prudence. La population attend des actes concrets, pas des signatures diplomatiques creuses. Le véritable test de cet accord ne sera pas Washington, mais Bunagana, Rutshuru, Masisi, Goma et Bukavu. Là où la paix n’a jamais vraiment habité.
Junior Kulele