La République démocratique du Congo retient son souffle. La Haute Cour militaire doit rendre, ce mardi, son verdict dans l’affaire opposant le ministère public à l’ancien président Joseph Kabila. Ce procès, ouvert en juillet, est déjà considéré comme l’un des plus marquants de l’histoire judiciaire du pays depuis l’indépendance.
Jamais un ex-chef de l’État congolais n’avait comparu devant la justice militaire pour des faits aussi lourds. Absent du territoire depuis plus de deux ans et résidant à l’étranger, Joseph Kabila est poursuivi par contumace. À la tête de la RDC de 2001 à 2019, il fait face à une série de charges qui, selon l’auditeur général Lucien-René Likulia, mettent en cause sa responsabilité dans les violences ayant ensanglanté l’Est du pays.
Des accusations d’une extrême gravité, les chefs retenus sont multiples : crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité ; participation à un mouvement insurrectionnel ; homicides intentionnels et exécutions sommaires ; viol, torture et autres traitements inhumains ; trahison et apologie de crimes de guerre ; occupation armée de la ville de Goma en 2012. Le ministère public l’accuse d’avoir entretenu des complicités avec le mouvement rebelle M23, soutenu par le Rwanda, dont les offensives ont provoqué des milliers de morts, des vagues de viols massifs et des déplacements forcés de populations civiles.
Le parquet a requis la peine de mort pour les faits les plus graves, assortie de 35 années de réclusion pour complot et apologie de crimes. Les parties civiles notamment les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri – ont exigé des réparations évaluées à plus de 30 milliards de dollars, soulignant l’ampleur des pertes humaines et économiques. En septembre, la Cour a accepté de rouvrir partiellement les débats pour examiner de nouvelles pièces, dont des témoignages liés au financement présumé du M23 via des comptes bancaires supposément reliés à l’ancien chef de l’État.
Au-delà des crimes de guerre, le procès a ravivé une controverse ancienne : la nationalité de Joseph Kabila. Certains plaignants soutiennent que ses origines le disqualifiaient dès le départ de la présidence congolaise. Ces accusations se sont mêlées aux débats, notamment à travers ses liens supposés avec Corneille Nangaa, leader politique de l’Alliance du Fleuve Congo (AFC) alliée au M23.
Plusieurs témoins clés ne se sont pas présentés, invoquant des raisons sécuritaires, ce qui a alimenté des critiques sur la capacité de la justice militaire à protéger les intervenants. Néanmoins, le 19 septembre, la Cour s’est déclarée « suffisamment éclairée », plaçant l’affaire en délibéré.
Le prononcé attendu ce mardi pourrait avoir des répercussions considérables, non seulement sur le plan judiciaire, mais aussi politique. Pour les victimes et leurs familles, il s’agit d’un test de vérité et de réparation. Pour les autorités actuelles, ce procès est perçu comme un signal fort contre l’impunité des dirigeants. Reste à savoir si la Haute Cour militaire choisira la sévérité demandée par le ministère public, ou si des considérations politiques et sécuritaires pèseront sur la décision finale.
Junior Kulele


