Moins de quatre jours après la clôture du sommet conjoint entre la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), l’une de ses principales recommandations est déjà réduite à néant. Le cessez-le-feu, censé marquer un tournant dans la crise sécuritaire à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), n’a été que de courte durée. Les affrontements ont repris sur plusieurs fronts entre l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23 d’un côté, et les Forces armées de la RDC (FARDC) de l’autre.
Face à cette situation, Kinshasa n’a pas tardé à exprimer son indignation. Le gouvernement congolais condamne fermement la reprise des hostilités. Lors du sommet qui s’est tenu à Dar es Salaam, en Tanzanie, les chefs d’État et de gouvernement de l’EAC et de la SADC avaient pourtant adopté plusieurs résolutions visant à désamorcer la crise et à instaurer une paix durable dans l’Est de la RDC. Cependant, la reprise rapide des combats remet en question l’efficacité de ces engagements et soulève des interrogations sur la faisabilité de leur mise en œuvre.
L’une des décisions phares du sommet de Dar es Salaam était la fusion des processus de paix de Nairobi et de Luanda. Ces deux processus poursuivent des objectifs similaires, mais avec des approches différentes. Le processus de Nairobi, sous l’égide de l’EAC, privilégie une approche diplomatique incluant des négociations entre le gouvernement congolais et certains groupes armés. De son côté, le processus de Luanda, dirigé par l’Angola, met davantage l’accent sur un règlement politico-militaire, en exigeant notamment le retrait du M23 et en prônant un dialogue direct entre la RDC et le Rwanda.
Si l’idée d’unir ces efforts semble séduisante sur le papier, son application concrète reste incertaine. La RDC y trouvera-t-elle réellement un avantage stratégique ? D’un côté, cette fusion pourrait permettre une meilleure coordination entre les différentes initiatives régionales, évitant la dispersion des efforts et renforçant la pression sur les acteurs impliqués dans le conflit. De l’autre, elle pourrait diluer les spécificités de chaque processus et ralentir leur efficacité.
Alors que la situation continue de se détériorer sur le terrain, la question demeure : la communauté internationale saura-t-elle imposer le respect des engagements pris à Dar es Salaam, ou assiste-t-on à une énième tentative diplomatique sans lendemain ? Pour la RDC, l’urgence est de transformer ces engagements en actions concrètes, sous peine de voir le cycle de la violence se perpétuer.
Mais au-delà de l’intention affichée de coordonner les efforts régionaux, cette fusion peut-elle réellement contribuer à la résolution durable de la crise dans l’Est de la RDC ?
Pour Kinshasa, l’unification des processus de Luanda et Nairobi pourrait représenter une opportunité stratégique en raison de plusieurs facteurs :
Une approche plus cohérente : Plutôt que d’avoir deux processus distincts avec des résultats fragmentés, une fusion permettrait une gestion unifiée du dossier, évitant les chevauchements diplomatiques et clarifiant les responsabilités.
Un levier diplomatique renforcé : Avec l’implication conjointe de la SADC, de l’EAC et de l’UA, la RDC peut bénéficier d’un soutien plus large pour faire pression sur le Rwanda et obtenir des engagements clairs quant au retrait du M23.
Jusqu’ici, la SADC avait une présence militaire avec la Mission de la SADC en RDC (SAMIDRC), mais son rôle diplomatique restait en retrait. Son intégration plus active dans le processus pourrait donner davantage de poids aux revendications congolaises.
L’affaiblissement des manœuvres du Rwanda : Kigali a longtemps profité des divisions diplomatiques pour échapper aux sanctions et gagner du temps sur le terrain militaire. Un cadre unique pourrait limiter ses marges de manœuvre et accentuer la pression internationale.
Si cette fusion est théoriquement avantageuse, plusieurs défis majeurs demeurent : Kigali continue d’exiger un dialogue direct entre Kinshasa et le M23, ce que la RDC refuse catégoriquement. La rupture des discussions à Luanda en décembre 2024 montre que ce point reste un véritable casus belli, rendant difficile l’avancement des négociations.
Si la SADC est perçue comme un allié plus fiable pour la RDC, l’EAC a été critiquée pour sa complaisance vis-à-vis du Rwanda. La fusion des processus pourrait être freinée par des désaccords internes entre ces organisations aux intérêts parfois divergents.
Tant que le M23 occupe des zones stratégiques comme Goma et que l’armée congolaise peine à regagner du terrain, tout accord diplomatique risque d’être perçu comme un aveu de faiblesse. La RDC voudra sans doute obtenir des avancées militaires avant de négocier quoi que ce soit.
L’histoire de la RDC est marquée par une série d’accords de paix qui n’ont jamais abouti en raison du non-respect des engagements par certaines parties :
L’Accord de Lusaka en 1999 était censé mettre fin à la Deuxième Guerre du Congo, il a été violé à maintes reprises par les belligérants. L’Accord de Pretoria en 2002 : visait à intégrer les groupes rebelles dans une transition politique, mais a été affaibli par des contestations internes. L’Accord-cadre d’Addis-Abeba en 2013 signé sous l’égide de l’UA et de l’ONU, il engageait les pays voisins à ne pas soutenir les groupes armés en RDC, mais a été largement ignoré par le Rwanda et l’Ouganda. Ces échecs répétés montrent que le véritable problème n’est pas tant l’absence d’accords, mais le manque de volonté des acteurs régionaux à respecter leurs engagements.
Pour que la RDC en tire réellement profit, elle devra s’assurer que la fusion ne légitime pas indirectement le M23, ce qui serait perçu comme une victoire pour les rebelles et leurs soutiens. Renforcer l’implication de la SADC, jugée plus neutre et plus engagée militairement dans le conflit. Maintenir la pression sur le Rwanda pour l’obliger à cesser son soutien au M23 et respecter les engagements internationaux.
La fusion des processus de paix est une avancée diplomatique, mais son efficacité dépendra de la volonté des acteurs régionaux d’imposer des solutions réalistes et de la capacité de la RDC à renforcer son rapport de force sur le terrain.
Junior Kulele