Un ancien président visé, un symbole de l’ancien régime rattrapé par des poursuites judiciaires : la République démocratique du Congo vit peut-être un tournant historique. Mais derrière le discours de moralisation, la réalité politique est bien plus trouble. La justice peut-elle vraiment se faire sans fracture ? Le réquisitoire de l’auditeur général des FARDC à l’intention du Sénat, a ouvert la voie à une action judiciaire inédite. En toile de fond : une volonté affichée du pouvoir en place d’ériger l’exemplarité en règle de gouvernance.
La levée des immunités de Joseph Kabila, ancien président et sénateur à vie a bouleversé la donne. Elle marque une escalade sans précédent. La perspective de le voir convoqué dans un dossier emblématique interroge sur la frontière ténue entre justice et politique. La justice semble frapper à toutes les portes. Mais frappe-t-elle avec équité ou avec ciblage ?
Depuis sa rupture avec le FCC, le président Tshisekedi a redéfini les lignes de pouvoir. Mais c’est avec cette nouvelle séquence judiciaire que son régime semble vouloir passer à la vitesse supérieure. En s’attaquant frontalement au symbole de l’ancien ordre, l’Union sacrée joue une partie à plusieurs bandes : montrer sa volonté de rompre avec l’impunité, consolider son autorité institutionnelle, et surtout occuper le terrain politique avant des échéances électorales prochaines.
Cependant, le spectre d’une instrumentalisation politique de la justice plane. Car la coïncidence entre l’accélération des poursuites et le positionnement stratégique du pouvoir alimente les suspicions mais l’éthique républicaine exige la justice. Face à cette offensive judiciaire, les proches de Joseph Kabila ont d’abord haussé le ton, dénonçant « une opération de liquidation politique ».
Pourtant, l’ancien président lui-même a pris la parole dans un rare communiqué télévisé, au ton mesuré, presque inattendu dans le contexte actuel : « Je reste attaché à la paix, à la stabilité de notre pays et au respect des institutions. Si des explications doivent être données à la justice, elles le seront dans le respect de la loi et de la vérité. La RDC est au-dessus des querelles politiciennes. »
Cette sortie, modérée mais ferme, contraste avec les réactions virulentes de certains cadres du FCC. Elle renforce l’image d’un Kabila stratège, préférant jouer la carte de la résilience institutionnelle plutôt que celle de la confrontation. Mais elle n’éteint pas les braises : les provinces où son influence reste forte – le Haut-Katanga, Kalemie, Sankuru – bruissent d’une colère qui couve.
Les signaux d’alerte sont multiples. Dans certaines localités du sud-est, l’exaspération a été observée. Des revendications identitaires ou régionalistes subsistent. L’ombre d’une réaction violente hante les esprits. Dans ce contexte, la stabilité nationale devient un équilibre délicat. Toute démarche judiciaire impliquant une figure aussi symbolique que Joseph Kabila exige un cadre institutionnel clair, un consensus politique minimal et un discours d’apaisement sincère.
Le pouvoir congolais est à la croisée des chemins. Il peut faire entrer le pays dans une ère de responsabilité politique réelle, ou déclencher un cycle de représailles institutionnelles. La levée des immunités de Joseph Kabila doit s’accompagner d’un dispositif de dialogue national, d’une communication transparente, et d’un effort sincère d’équilibre entre justice et réconciliation. Car si cette démarche judiciaire n’est pas bien encadrée, elle risque de réécrire l’histoire en fracture, et non en réforme.
La RDC ne peut se permettre une nouvelle crise de légitimité. C’est à cette condition qu’elle pourra juger les faits sans juger les identités. Et construire, enfin, une justice qui rassemble plutôt qu’elle ne divise. Le dossier Kabila n’est pas seulement judiciaire. Il est fondamentalement politique, historique et identitaire. Le gouvernement doit trancher entre une justice exemplaire pour tourner la page de l’impunité, et la nécessité de préserver la cohésion nationale.
Si la démarche se limite à un règlement de comptes ou à un calcul politique, elle risque de fragiliser la paix civile. En revanche, si elle s’inscrit dans une logique de vérité, de transparence et de réforme des institutions, elle pourrait marquer une avancée majeure vers une démocratie plus mature en RDC.
L’heure est donc à la lucidité. Car dans ce dossier, ce n’est pas seulement Joseph Kabila qui sera jugé. C’est la capacité de la RDC à gérer son passé pour construire un avenir plus juste et stable.
Junior Kulele