Le procès sur le scandale du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo dépasse de loin la seule mise en cause de l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo. Il ne s’agit plus seulement de juger et de condamer un homme, mais de faire la lumière sur les mécanismes d’un échec cuisant, symbole d’un mode de gouvernance à bout de souffle.
À travers cette affaire, c’est toute la capacité de l’État congolais à concevoir, gérer et exécuter de grands projets publics qui se retrouve sur le banc des accusés. Lancé en 2014 avec plus de 285 millions de dollars d’investissements publics, le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo devait transformer la RDC en puissance agricole régionale. Situé dans la province du Kwango, il promettait des productions à grande échelle de maïs, manioc et lait, tout en assurant la création d’emplois et la réduction des importations alimentaires.
Mais à peine quelques années plus tard, le rêve s’est écroulé. Aucune production agricole viable. Des infrastructures à l’abandon. Des machines rouillées. Des terrains en friche. Et surtout, une opacité totale sur les dépenses engagées. L’entreprise sud-africaine Africom Commodities, partenaire technique choisi sans appel d’offres transparent, a disparu avec les illusions. Aujourd’hui, Bukanga Lonzo est devenu le symbole d’un gâchis monumental, révélateur d’un système où l’urgence politique prime sur la rationalité économique.
Le gouvernement actuel, sous l’égide du Président Félix Tshisekedi et de la Première ministre Judith Suminwa, a lancé des programmes de développement ambitieux, comme le PDL-145T, qui vise à construire des infrastructures sociales de base dans chaque territoire du pays, ou les zones économiques spéciales (ZES) censées attirer les investisseurs et industrialiser les provinces.Mais peut-on espérer un avenir meilleur sans tirer les leçons du passé ?
Bukanga Lonzo enseigne que le financement massif ne garantit pas le succès d’un projet, surtout en l’absence d’une transparence dans la passation des marchés, des études de faisabilité rigoureuses, du choix de partenaires compétents et vérifiés, des mécanismes indépendants de suivi et d’évaluation. Il est crucial que ces nouveaux projets évitent de reproduire les erreurs d’improvisation et de politisation qui ont enterré Bukanga Lonzo.
L’un des aspects les plus troublants de cette affaire est l’absence de réaction des institutions censées surveiller l’usage des deniers publics. Pendant les années de décaissement, ni le Parlement, ni la Cour des comptes, ni les inspections ministérielles n’ont levé le moindre signal d’alarme audible. Cette défaillance interroge : à quoi servent les organes de contrôle s’ils n’interviennent qu’après les scandales ?
Une démocratie ne peut survivre sans une culture de la redevabilité. La prévention des abus doit devenir une priorité politique, et non une réaction tardive. Le Parlement doit jouer son rôle de veille sur les crédits alloués aux grands projets, et non se contenter d’un vote budgétaire formel. Les audits doivent être publics. Les citoyens doivent être informés, et la société civile mieux associée au suivi. Bukanga Lonzo ne peut être réduit à une simple affaire judiciaire ou à un duel politique entre Matata Ponyo et l’Union sacrée. C’est le miroir d’un échec collectif, celui d’un État qui peine à planifier, à évaluer et à rendre compte.
À l’heure où le pays mobilise d’importantes ressources pour reconstruire son économie, cette affaire doit être le point de départ d’une réforme profonde de la gouvernance des projets publics. Car ce n’est qu’en garantissant la transparence, en renforçant l’expertise technique et en protégeant l’intérêt général que la RDC pourra transformer ses ambitions en résultats concrets.Faute de quoi, d’autres “Bukanga Lonzo” apparaîtront, engloutissant encore plus de ressources, de temps… et d’espoirs.
Junior Kulele