Cela fait exactement trois ans que la cité stratégique de Bunagana, dans le territoire de Rutshuru au Nord-Kivu, est tombée aux mains du M23, désormais renforcé par l’Alliance Fleuve Congo (AFC) de Corneille Nangaa. Depuis juin 2022, les lignes de front n’ont cessé d’avancer, menaçant les grandes villes de Goma et de Bukavu, avec, selon de nombreux témoignages et rapports, le soutien actif du régime rwandais.
À cette occasion, le Dr Denis Mukwege est sorti de son silence pour dénoncer l’enlisement diplomatique et la passivité nationale face à une crise sécuritaire d’une ampleur dramatique. « Cela fait trois ans que les initiatives diplomatiques échouent à imposer un cessez-le-feu durable et le retrait des forces illégales d’occupation », rappelle le Prix Nobel de la paix, dans un communiqué cinglant, publié ce jeudi.
Mukwege cite notamment la résolution 2773 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en février 2025, censée poser les bases d’un règlement du conflit. Une résolution qualifiée d’« importante mais tardive », et restée, selon lui, sans effets concrets sur le terrain.
Le célèbre gynécologue ne mâche pas ses mots envers le Rwanda, qu’il accuse d’être à l’origine de la violation persistante de la souveraineté de la RDC, motivée par des « ambitions expansionnistes » et le pillage systématique des ressources minières congolaises. « Ce régime foule aux pieds la Charte des Nations Unies avec la complicité passive de certaines puissances », écrit-il.
Mais le message de Mukwege ne s’arrête pas à la dénonciation de l’agresseur. Il adresse aussi de vives critiques aux autorités congolaises, accusées d’inefficacité, d’amateurisme et de renoncement politique. « Le gouvernement se dit prêt à assumer ses responsabilités, mais il n’a jamais engagé les réformes profondes nécessaires dans les secteurs de la sécurité, de la justice et de la gouvernance », regrette-t-il.
Il tient ainsi le président de la République et son exécutif pour largement responsables de l’aggravation de la situation sécuritaire et de ses conséquences sur les droits humains et la catastrophe humanitaire qui touche des millions de civils.
Mukwege déplore aussi le silence ou les réactions timorées de certaines chancelleries étrangères et organisations internationales, qu’il accuse d’avoir permis l’enracinement militaire du M23/AFC, agissant comme bras armé de Kigali. En conclusion, il réaffirme sa solidarité avec les populations de l’est du Congo, appelant à ne pas sacrifier la justice dans les pourparlers en cours à Doha et Washington. « Il est impératif de tirer les leçons du passé et de mettre fin à l’impunité. Toute paix durable doit reposer sur la vérité et la justice. »
Un appel clair à la conscience des décideurs, nationaux comme internationaux, dans un contexte où les négociations peinent à produire une désescalade tangible.
Emille Kayomba