La Journée internationale du travail, célébrée chaque 1er mai, intervient cette année dans un contexte socio-économique particulièrement préoccupant pour la République démocratique du Congo (RDC). Alors que le pays regorge de ressources naturelles, sa population active continue de faire face à un marché du travail instable, marqué par un taux de chômage élevé, des conditions de travail indécentes et une faible rémunération.
Selon les données disponibles, le taux de chômage en RDC s’est établi à une moyenne de 20,13 % entre 1991 et 2024, avec un pic inquiétant de 22,40 % en 2020. Bien que le taux ait légèrement baissé depuis, la situation reste préoccupante. Les jeunes de 15 à 24 ans sont particulièrement touchés, avec un taux de chômage estimé à 15,85 %, contre 9,37 % pour les adultes (BIT, 2017). En milieu urbain, où la pression démographique et l’exode rural exacerbent la concurrence, trouver un emploi relève souvent du parcours du combattant.
Face à un secteur formel incapable d’absorber la demande, l’économie informelle devient le principal refuge de millions de Congolais. Selon l’Institut National de la Statistique (INS), plus de 80 % de la population active travaille dans ce secteur non structuré, sans contrat, sans sécurité sociale, ni protection contre les abus. Cette informalité empêche toute planification de carrière et fragilise la stabilité économique des ménages.
L’accès à l’emploi dans certaines sphères de l’administration publique et d’entreprises privées s’effectue souvent en dehors des règles du mérite. La pratique de la « promotion canapé » — c’est-à-dire l’obtention de postes en échange de faveurs sexuelles — reste un tabou tenace, mais dénoncé à voix basse par de nombreuses jeunes femmes. Ce phénomène favorise l’impunité, perpétue les inégalités de genre et démoralise les candidats qualifiés.
Même pour ceux qui parviennent à décrocher un emploi, la rémunération demeure largement insuffisante. Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est fixé à l’équivalent de 5 USD par mois, alors que le coût de la vie, notamment en milieu urbain, explose. L’écart entre les revenus et les besoins réels pousse de nombreux travailleurs à cumuler plusieurs emplois ou à s’endetter pour survivre.
La situation est encore plus dramatique dans les secteurs miniers et agricoles, où le travail forcé et le recours à la main-d’œuvre infantile sont régulièrement documentés. Des enfants de moins de 15 ans sont visibles dans les mines de cobalt, exposés à des conditions dangereuses, pour des rémunérations souvent inférieures à 1 dollar par jour. La sous-traitance sauvage dans le secteur minier prive aussi les agents de tout droit syndical ou de stabilité professionnelle, accentuant leur précarité.
Malgré l’existence de lois protégeant les travailleurs, leur application reste aléatoire. Les syndicats sont souvent divisés, infiltrés politiquement, ou manquent de moyens pour défendre efficacement leurs membres. Les cas de licenciements abusifs, d’absence de couverture sociale ou de non-paiement de salaires restent courants, surtout dans les entreprises sous-traitantes ou les ONG locales.
Le 1er mai devrait être plus qu’un rituel ou une simple célébration. C’est une occasion de poser les bases d’un véritable dialogue social, impliquant syndicats, patronat, société civile et pouvoirs publics. L’État doit refonder sa politique de l’emploi autour de la création d’emplois décents, de la valorisation de la formation professionnelle, de la lutte contre la corruption dans les recrutements, et du renforcement de l’inspection du travail.
Le travail, en RDC, est encore loin d’être un facteur d’épanouissement. Il est souvent synonyme de souffrance, d’injustice et d’exploitation. Pourtant, il peut redevenir un levier de développement si des réformes structurelles sont entreprises avec courage et responsabilité. À l’heure où les Congolais réclament plus de justice sociale, le travail digne et rémunéré à sa juste valeur doit redevenir une priorité nationale.
Junior Kulele