Kinshasa s’est levée lourde et nerveuse, ces derniers jours. Une capitale sous tension, entre espoir et crainte, dans ce mois d’avril qui n’en finit pas de bousculer les cœurs. Tout a commencé avec l’annonce venue de Washington : la signature, enfin, d’une déclaration de principe entre la République démocratique du Congo et son voisin le Rwanda. Un texte, fragile comme une promesse murmurée, censé ouvrir un chemin vers la paix, dans une région meurtrie depuis trop longtemps.
À Kinshasa, la nouvelle a circulé d’abord à voix basse, sur les réseaux sociaux, dans les cafés, les taxis. Un soupir de soulagement, mêlé à une interrogation douloureuse : « Et maintenant ? » Car pendant que l’Amérique ratifiait l’espoir, ici l’attente pesait. Les consultations politiques ouvertes dans la capitale pour répondre à cette dynamique piétinent. Les conclusions ? Toujours pas annoncées. Les acteurs politiques ? Toujours aussi divisés. Le peuple ? Toujours suspendu à des discours qui tardent à se transformer en actes.
Pendant ce temps, Kinshasa vit, au rythme chaotique de ses embouteillages étouffants.
De Gombe à Masina, de Kintambo à Matete, la ville semble chaque jour un peu plus prise en otage par son propre mouvement.
Klaxons hurlants, vendeurs ambulants bravant l’asphalte brûlant, motards glissant entre les voitures comme des poissons pressés — Kinshasa gronde, s’agite, mais n’avance pas.
Et comme si ce chaos ne suffisait pas, le ciel s’est mis aussi à participer à la tension. Chaque fin d’après-midi, des nuages lourds noircissent l’horizon. La pluie, imprévisible, tombe brutalement, transformant les rues en torrents, faisant naître dans chaque cœur la même peur sourde : celle des inondations, des maisons fragiles, des vies balayées.
Mais au milieu de cette ville tendue, une tristesse profonde s’est imposée, presque religieuse. L’annonce de la mort du pape François a bouleversé Kinshasa. Un choc intime. Un frère est parti. Celui qui, en 2023, avait consolé un pays blessé en foulant son sol meurtri.
Les obsèques, retransmises en direct, ont figé un instant la frénésie de la ville. La veille, la cathédrale Notre-Dame du Congo est devenue un phare au cœur du tumulte. Les chants se sont élevés, mêlés à l’odeur lourde de l’encens. Des milliers de fidèles, anonymes, venus dire un dernier merci à celui qui avait levé sa voix pour le Congo. Dans les rues alentour, même les klaxons semblaient s’être tus.
Et pourtant, au loin, un signe, timide mais précieux, apaise les esprits : dans l’est du pays, ces derniers jours, l’accalmie semble revenir. Pas encore une paix, pas encore une victoire. Mais une trêve. Un souffle de répit pour des populations épuisées par des années de guerre.
Kinshasa, aujourd’hui, est une ville entre deux mondes. Entre l’attente fébrile d’une ère nouvelle, et la mémoire lourde d’un passé qui ne veut pas mourir. Entre la boue des rues et l’espérance fragile portée par des accords lointains. Le ciel reste menaçant. Les routes restent congestionnées.
Mais sous les pluies, sous les prières, sous les cris, un peuple se tient debout, encore.
Parce que, malgré tout, Kinshasa — comme le Congo tout entier — sait que même sous l’orage, la vie n’abdique jamais.
Junior Kulele