À Kinshasa, mégapole de plus de 15 millions d’âmes, un rituel s’est imposé dans de nombreux foyers : attendre la nuit tombée pour voir couler un filet d’eau. Dans des communes populaires comme Kimbanseke, Masina, Ngaba, Mont-Ngafula ou Selembao, les habitants veillent, bidons à la main, dans l’espoir de capter quelques litres. Une aberration, dans une ville assise au bord de l’un des plus puissants fleuves du monde. Alors, pourquoi cette pénurie chronique ?
Un accès limité : seuls 65 % des Kinois desservis
« À Kinshasa, nous n’avons pas assez d’eau pour tout le monde », reconnaît sans détour David Tshilumba, directeur général de la REGIDESO. Selon lui, seuls 65 % des habitants sont alimentés régulièrement. Et encore, « régulièrement » signifie souvent : quelques heures, en pleine nuit.
Le déficit est structurel. La capitale a besoin d’un million de mètres cubes d’eau par jour, mais n’en produit qu’environ 600 000. Résultat : un rationnement de fait, où certains quartiers sont « éteints » le jour pour alimenter d’autres zones prioritaires.
Un réseau vétuste, hérité d’une autre époque
L’eau qui n’arrive pas… c’est aussi l’eau qui se perd. Jusqu’à 40 % de la production serait gaspillée à cause de fuites ou de raccordements frauduleux. Les canalisations, pour beaucoup, datent de l’époque coloniale. Rouillées, poreuses, inadaptées aux réalités actuelles.
Même constat du côté des infrastructures de traitement : les usines de N’Djili, Ozone ou Lukunga ont été conçues pour une ville de 2 à 4 millions d’habitants. Elles sont aujourd’hui débordées par une croissance urbaine anarchique, sans planification ni extension suffisante du réseau.
Quand l’eau devient un luxe
Dans les quartiers périphériques, l’eau potable est devenue une marchandise. Des revendeurs, surnommés « kadhafi« , sillonnent les rues avec leurs bidons, qu’ils écoulent entre 200 et 500 francs congolais les 20 litres — parfois plus lors des vagues de chaleur. Le prix de la survie, dans une ville où les robinets publics se font rares, et où les plus pauvres payent paradoxalement plus cher que les mieux lotis.
Le paradoxe congolais : l’abondance invisible
Le plus ironique, c’est que Kinshasa borde le fleuve Congo, deuxième réserve d’eau douce de la planète. Le pays regorge de rivières, de lacs, d’eaux souterraines. Mais faute d’investissements, de gouvernance, et de vision, cette richesse naturelle reste inaccessible à des millions de Congolais.
Des projets, peu de résultats
La REGIDESO parle de projets en cours : élargissement de la station de N’Djili, nouveaux forages, partenariats avec la Banque mondiale. Mais sur le terrain, les délais s’éternisent, les financements se diluent, et les promesses s’évaporent comme l’eau dans les bidons percés.
La ville s’adapte… tant bien que mal
En attendant, la population fait preuve de résilience : récupération de pluie, forages privés, migration vers des zones mieux desservies, ou achats à prix d’or. Mais pour combien de temps ? L’eau est un droit fondamental. Sa rareté dans une capitale au bord d’un fleuve n’est pas une fatalité, mais le symptôme d’un État en déshérence.
Junior Kulele