Dans une République Démocratique du Congo regorgeant de ressources hydriques, la pénurie d’eau potable persiste comme une réalité quotidienne pour des millions de Congolais. À Kinshasa, mégalopole de plus de 15 millions d’habitants, l’accès régulier à l’eau courante relève parfois du miracle, et les robinets à sec sont devenus la norme dans plusieurs quartiers. En toile de fond : un État insolvable, incapable de payer sa propre consommation d’eau depuis plus de trois décennies.

C’est un cri d’alarme retentissant que David Tshilumba Mutombo, directeur général de la REGIDESO (Régie de distribution d’eau en RDC), a lancé cette semaine devant l’Assemblée nationale. Selon lui, l’État congolais n’a plus réglé ses factures d’eau depuis 1991, accumulant une dette estimée à près de 6 millions de dollars américains.
« À ce jour, l’État consomme près de 40 % de l’eau produite par la REGIDESO. Cette consommation représente environ 6 millions de dollars de facturation mensuelle, mais aucun paiement n’a été effectué malgré les nombreuses promesses des autorités », a déclaré le DG de l’entreprise publique.
Dans ce contexte de défaillance structurelle, ce sont les citoyens les plus pauvres et la classe moyenne qui portent la charge du fonctionnement de la société. « Ce sont ceux qui ont le moins de moyens qui paient leurs factures, pendant que ceux qui en ont les moyens — notamment les institutions publiques et les officiels — bénéficient de l’eau gratuitement », dénonce M. Tshilumba.

Le coût mensuel moyen d’une facture d’eau pour une famille congolaise se situe entre 20 et 30 dollars. Une somme considérable pour des foyers vivant souvent sous le seuil de pauvreté, dans un pays où plus de 70 % de la population survit avec moins de 2 dollars par jour.
La REGIDESO fait face à une obsolescence critique de ses installations. Les canalisations vieillissantes, les stations de traitement sous-équipées, l’extension anarchique des quartiers périphériques et l’absence d’investissements conséquents compliquent davantage la situation. Dans certaines zones de Kinshasa comme Kimbanseke, N’Sele, Ngaliema ou Selembao, l’eau potable est devenue une denrée rare, obligeant les habitants à recourir à des forages informels ou à l’eau de pluie, au risque de maladies hydriques.
Alors que la REGIDESO dépend des paiements des usagers pour couvrir ses frais de production, l’impunité financière de l’État crée un déséquilibre insoutenable. « Comment pouvons-nous réhabiliter les infrastructures ou étendre notre desserte quand notre principal client — l’État — ne paie pas ? » s’interroge amèrement le patron de la Régie.

Cette réalité met en évidence un cercle vicieux : le non-paiement des institutions publiques affaiblit la capacité de la REGIDESO à investir, ce qui se traduit par un service médiocre et des frustrations chez les citoyens, qui finissent eux-mêmes par rechigner à payer.
Les déclarations du DG Tshilumba relancent le débat sur la gouvernance et la soutenabilité du secteur de l’eau en RDC. Il est plus que jamais urgent que l’État : Règle sa dette envers la REGIDESO et prenne en charge ses consommations futures ; Redynamise la réforme du secteur de l’eau entamée depuis plus d’une décennie ; Investisse massivement dans la modernisation des réseaux de distribution, en zone urbaine comme rurale ; Et surtout, garantisse un accès équitable à l’eau potable comme un droit humain, non comme un privilège social.

Car en RDC, le paradoxe de l’eau reste saisissant : un pays au cœur du bassin du Congo, deuxième réserve d’eau douce du monde, dont les citoyens manquent cruellement de cette ressource vitale.
Junior Kulele