La République démocratique du Congo a perdu l’un de ses plus grands penseurs, Valentin-Yves Mudimbe, décédé le 22 avril en Caroline du Nord, aux États-Unis, à l’âge de 83 ans. Philosophe, linguiste, romancier, critique littéraire, professeur émérite, Mudimbe fut tout cela à la fois, et bien plus encore : une conscience africaine, une bibliothèque vivante, un repère intellectuel. Pourtant, malgré cette stature incontestable sur la scène mondiale, la République congolaise est restée étrangement silencieuse. Aucun hommage officiel, aucune parole forte, aucune promesse d’obsèques nationales. Le pays qu’il a tant interrogé et porté dans sa pensée semble l’avoir oublié.
Comment expliquer ce silence, ce rejet presque institutionnalisé d’un homme dont les œuvres ont modelé des générations de chercheurs et d’intellectuels à travers le monde ? L’Invention de l’Afrique, son livre phare, est étudié dans les plus grandes universités de la planète. Il a déconstruit les cadres coloniaux de la pensée africaine avec rigueur et génie. Il a donné à l’Afrique une voix qui refuse les caricatures et revendique sa complexité. Et pourtant, à sa mort, ni le gouvernement, ni les institutions culturelles de l’État ne se sont levés pour dire : « C’était un des nôtres. »
Cette indifférence choque, indigne, révolte. Richard Ali, écrivain et vice-président de l’Union des Écrivains du Congo, résume la douleur de nombreux intellectuels : « Mudimbe est unanimement reconnu comme un savant, un philosophe de haut rang. Ce serait vraiment absurde que l’État congolais ne puisse rien faire pour honorer sa mémoire. »
Une pétition lancée par des écrivains et acteurs culturels appelle à des obsèques nationales. Elle réclame également une reconnaissance posthume, à l’image de ce que la nation accorde aux héros d’autres domaines. En quelques jours, la pétition a rassemblé près de 450 signatures à travers le monde. Ce soutien démontre que, si la République officielle hésite, le peuple des lettres, lui, ne l’oublie pas.
Valentin-Yves Mudimbe n’était pas seulement un auteur, il était une passerelle entre le Congo et le monde, entre les traditions africaines et la pensée critique contemporaine. En l’ignorant ainsi, la République rejette une partie de sa propre intelligence, de sa mémoire, de sa fierté. Ce silence équivaut à un reniement.
Il est encore temps d’agir. Il est encore possible de réparer cette faute morale. Mudimbe mérite des obsèques nationales. Il mérite une place dans le Panthéon culturel de la nation. Il mérite que la République, au nom de laquelle il a tant réfléchi, lui rende ce qu’elle lui doit : la reconnaissance. À défaut, l’Histoire, elle, saura se souvenir.
Junior Kulele