La baie de Ngaliema, l’un des rares poumons verts restants de Kinshasa, fait aujourd’hui l’objet d’un débat aussi crucial que symbolique : faut-il définitivement sanctuariser cette portion stratégique du territoire national, régulièrement grignotée par des constructions anarchiques, en dépit des démolitions successives et des mises en garde répétées ? L’affaire prend une tournure d’intérêt national alors que les appels à la conservation de ce site prennent de l’ampleur, dans un contexte d’urbanisation galopante et d’effacement progressif du patrimoine historique.

Située dans l’Ouest de la capitale congolaise, la baie de Ngaliema est bordée par le majestueux fleuve Congo. Elle abrite notamment l’ancienne concession Utexafrica, un vaste espace cédé à l’État congolais à la suite du départ de l’entreprise textile belge. Autrefois domaine industriel, cette zone aurait pu faire l’objet d’un aménagement écologique ou d’un projet culturel d’envergure nationale.
Au lieu de cela, elle est devenue, depuis plusieurs années, le théâtre d’une urbanisation désordonnée, dans un contexte d’ambiguïtés foncières et de complicités administratives. Villas privées, constructions en dur, lotissements improvisés… tout y passe, parfois en toute illégalité.

La multiplication des constructions dans la baie de Ngaliema ne relève pas d’un simple laisser-faire. Selon plusieurs sources concordantes, des autorités locales, voire nationales, auraient délivré des titres de propriété ou des autorisations de bâtir en contradiction avec les statuts de la zone. Certains agents des affaires foncières auraient profité de la demande forte en terrains pour monnayer des parcelles dans un espace pourtant classé d’utilité publique.
À cela s’ajoute l’absence prolongée d’une vision urbanistique claire et l’impossibilité pour certaines institutions de faire appliquer la loi. En somme, le vide juridique et les connivences politiques ont permis la prolifération de constructions illégales sur un site qui aurait dû être protégé.

À plusieurs reprises, les autorités urbaines de Kinshasa — sous différents gouverneurs — ont lancé des opérations de démolition des constructions érigées illégalement dans la baie. Ces opérations spectaculaires, parfois médiatisées, n’ont pourtant pas eu l’effet escompté. Les démolitions sont souvent sélectives, ponctuelles et suivies de reconstructions à peine quelques mois plus tard.
Les démolisseurs partent, les maçons reviennent. Cette spirale d’illégalité-répression-reconstruction illustre l’absence de mesures structurelles et de volonté politique ferme pour éradiquer le phénomène.

Face à cette situation qui menace à la fois l’environnement, le patrimoine et l’image de la capitale, de nombreuses voix plaident pour la sanctuarisation définitive de la baie de Ngaliema. Cela impliquerait :La délimitation juridique claire de la zone comme espace non constructible,La mise en place d’un plan d’aménagement écologique et culturel,L’implication de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) ou du ministère de l’Environnement,Et surtout, une volonté politique forte de résister aux pressions immobilières et foncières.
Plusieurs experts urbanistes ont proposé de transformer la baie en un parc écologique urbain, à l’image du parc de la vallée de la N’sele, ou d’y implanter un musée d’histoire nationale au vu de la proximité du Mont Ngaliema, haut lieu de mémoire (lieu de la première mission coloniale, proche de l’ancienne résidence de Mobutu, etc.).
Au-delà de l’enjeu environnemental, la bataille pour la sauvegarde de la baie de Ngaliema est aussi une question de souveraineté nationale et de respect de la mémoire collective. La laisser disparaître sous le béton reviendrait à effacer une page entière du patrimoine kinois et à renoncer à une vision durable de la ville.
Alors que Kinshasa s’étouffe dans un urbanisme informel et que les inondations deviennent fréquentes, la conservation de ses derniers espaces naturels est une priorité vitale.

Sanctuariser la baie de Ngaliema n’est pas une lubie de quelques écologistes idéalistes, c’est un acte politique fort, un choix de civilisation pour une capitale qui veut se projeter dans l’avenir tout en respectant ses racines. Il est encore temps d’agir, mais chaque jour de silence rapproche la baie de sa disparition.Conserver, c’est résister. Sanctuariser, c’est honorer.
Junior Kulele